«On cherche des armes, des munitions». A l’entrée du parc national d’Ivindo, dans le nord-est du Gabon, une poignée d’éco-gardes en tenue paramilitaire traque les braconniers sur la rivière. Sacs de vieux vêtements, boîte d’appâts… chaque recoin de la pirogue du pêcheur est fouillé.

Au coeur du deuxième bassin forestier de la planète après l’Amazonie, cette région sauvage frontalière du Cameroun et du Congo abrite trois parcs nationaux, Minkebe, Ivindo et Mwagna, où le braconnage d’éléphants a explosé ces dernières années.

Environ 14.000 pachydermes ont été abattus en moins de 10 ans dans le seul parc de Minkebe (extrême nord-est), le plus menacé, selon l’Agence nationale des parcs nationaux (ANPN).

C’est du «braconnage industriel», estime Luc Mathot, de l’ONG Conservation Justice, selon qui «150 à 200 kg d’ivoire» sortent chaque semaine de la réserve, ce qui correspond à environ 15 à 20 éléphants tués.

A cheval sur des frontières poreuses, ce massif dense de 7.000 km2 sans routes ni villages, parcouru seulement de rivières, est devenu un repaire de braconniers très difficile à surveiller. Sur une superficie aussi vaste, une guerre inégale oppose des chasseurs à l’armement de plus en plus sophistiqué à une cinquantaine d’éco-gardes escortés par quelques militaires et gendarmes débordés qui patrouillent à pied.

Rejoindre Minkebe est en soi une aventure: il faut quatre jours de pirogue pour atteindre la base de Lélé, à l’intérieur du parc.

La logistique est un «vrai casse-tête», confesse Claude Angoue, qui y a travaillé pendant 10 ans, énumérant les moteurs cassés des pirogues usées, le manque de nourriture, les moyens de communication radio défaillants ou encore la lenteur des renforts «en cas de problème».

Or les incidents se multiplient depuis des mois. En octobre, une patrouille de l’ANPN est tombée nez-à-nez avec des braconniers qui n’ont pas hésité à faire feu. Pour riposter, les gendarmes sont le plus souvent équipés d’un unique pistolet.

«Notre métier est devenu dangereux. Plus on fait d’arrestations sur le terrain, plus les braconniers viennent armés. Certains ont des carabines de chasse et on voit de plus en plus de kalachnikovs», dit l’éco-garde.

Pour le conservateur du parc de l’Ivindo, Rostand Abaa, la guerre civile qui a ravagé le Congo voisin dans les années 90 explique en partie «la grande circulation d’armes de guerre» dans la région.

Face aux patrouilles conjointes d’éco-gardes congolais et gabonais, les braconniers utilisent des pygmées comme pisteurs.

«Notre mission ne consiste plus seulement à surveiller des gens qui viennent tuer du gibier, ça devient un problème de sûreté nationale», affirme M. Abaa.

Avec 1,8 million d’habitants, le Gabon, qui accueille plus de la moitié des 80.000 éléphants de forêt que compte le continent africain – par opposition aux éléphants de savane – est considéré comme l’un des derniers sanctuaires de la faune. Gorilles, buffles, panthères et autres grands mammifères y ont aussi trouvé refuge.

Dans une Afrique centrale secouée de troubles, des populations entières d’éléphants ont déjà été massacrées, comme en février 2012, lorsque des trafiquants venus du Soudan du Sud ont abattu plus de 300 pachydermes dans le parc de Bouba N’Djidda, au Cameroun. En mai 2013, profitant du chaos en Centrafrique, des braconniers en ont tué au moins 26 à Dzanga Bai (sud-ouest).

Le président gabonais Ali Bongo Ondimba, qui fait la promotion d’un «Gabon vert» et mise sur l’écotourisme, a promis des actions fortes en matière de lutte anti-braconnage.

Avant son arrivée au pouvoir en 2009, il n’y avait quasiment aucune surveillance en la matière. Aussi le président a-t-il accru la présence de gardes dans les 13 parcs du pays. Lors d’une opération coup de poing, un stock de 5 tonnes d’ivoire issue du braconnage avait aussi été brûlé publiquement en 2012. Et à Minkebe, l’Etat a envoyé l’armée en 2011 pour fermer une mine d’or clandestine où vivaient près de 5.000 personnes, dont des braconniers.

Ce sont des «réseaux criminels organisés» autour des trafics d’or et d’ivoire, estime le procureur de Makokou, Alain-Georges Moukoko. «Il faut des sanctions plus sévères», alors que la peine maximale pour braconnage est de six mois d’emprisonnement, selon lui.

A 80.000 francs CFA (121 euros) le kg d’ivoire, pas de quoi dissuader les braconniers, confesse à l’AFP un trafiquant notoire, qui se dit «repenti» après deux séjours en prison. «Plus on monte vers le Cameroun (par où transite généralement l’ivoire braconnée, ndlr), plus ça vaut cher!», affirme ce Gabonais surnommé «Barack Obama», qui arbore deux dents de panthère montées sur une chaîne en or.

Une fois en Chine, où s’exporte clandestinement la moitié environ de l’ivoire braconnée au Gabon, le prix atteint 1.000 voire 2.000 euros le kg, «la marge est énorme», indique Luc Mathot. Le reste atterrit ailleurs en Asie, en Europe ou aux Etats-Unis.

Ces gains faciles ont également généré «toute une chaîne de corruption», des forces de l’ordre aux agents des Eaux et forêts, en passant par la justice, affirme le procureur Moukoko. Des saisies d’ivoire «disparaissent» ainsi régulièrement de tribunaux, comme en avril à Oyem (nord), où 300 kg ont été «volés» sans que personne ne se l’explique…

 

AFP

Publisher: Lebanese Company for Information & Studies
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Rédacteur en chef : Hassan Moukalled


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