Le marché aux poissons le plus ancien de Séoul, site emblématique couru des touristes, refuse de déménager dans un bâtiment futuriste somptuaire: les commerçants ne veulent pas perdre leur âme en même temps que les allées vétustes où ils travaillent depuis 45 ans.

Ce type de controverse est récurrent dans la capitale sud-coréenne, où les habitants résistent de toutes leurs forces à la modernisation et au ravalement de leurs quartiers.

Le marché de Noryangjin, situé au pied d’un quartier du sud de Séoul hérissé de gratte-ciel, est ouvert 24 heures sur 24. Tous les produits de la pêche possibles et imaginables y sont vendus, bien souvent encore frétillants.

Le gestionnaire du marché, la société Suhyup, veut le délocaliser dans un immeuble flambant neuf en forme de dauphin, fait de verre et d’acier, construit à deux pas pour 520 milliards de wons (384 millions d’euros).

Il estime que le site actuel est démodé et dangereux. Mais les vendeurs de poissons jugent trop petits les étals qui leurs sont proposés dans le nouveau bâtiment, et les loyers trop chers.

Déménager reviendrait à « dénaturer complètement la marque de fabrique Noryangjin », explique Lee Seung-Ki, qui représente un comité de défense des commerçants, lesquels veulent un réaménagement du site actuel.

Noryangjin somnole mais ne dort jamais. A toute heure, on y vend du poisson, en gros ou au détail.

Dans la section réservée au détail, les aquariums se succèdent, débordant de daurades, flétans, raies, crabes géants et poulpes.

Les vendeurs en bottes et tabliers tâchés de sang haranguent les clients, qui vont des simples particuliers aux grands restaurants.

« Noryangjin, c’est ma vie », dit Baek Kyung-Boo, 73 ans, qui vend des crustacés avec son épouse depuis l’ouverture du marché à son emplacement actuel en 1971.

Sa journée débute vers 03H30 avec la criée extrêmement disputée pour acheter sa marchandise du jour: « Je passe ici jusqu’à 15 heures par jour. »

Le marché de 66.000 mètres carrés est ouvert en permanence depuis 1982. La Corée du Sud avait alors levé un couvre-feu en vigueur depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il accueille 30.000 clients par jour.

Le site est aussi devenu une attraction majeure pour les touristes qui goûtent le poulpe tranché en lamelles alors qu’il est encore en vie, puis arrosé d’huile de sésame, spécialité du cru.

Les vendeurs craignent que le marché ne perde son âme, ses odeurs, son désordre, tout ce qui fait de lui un endroit unique.

Mais la direction n’en démord pas.

« Le bâtiment actuel a plus de 40 ans. De nombreuses parties sont rouillées, c’est dangereux pour les vendeurs comme pour les clients », souligne Kim Duck-Ho, porte-parole de Suhyup.

La nouvelle structure ne pourrait être plus différente. En plus du marché, elle abritera des restaurants de luxe et des terrasses de café où se tiendront des concerts, avec vue imprenable sur le fleuve Han.

Il est prêt à accueillir ses nouveaux locataires depuis le mois d’octobre mais fait toujours figure de bâtiment fantôme. Seul le parking et le système souterrain de réfrigération sont en activité.

Le projet de déménagement est dans les tuyaux depuis le début des années 2000. Suhyup soutient que tous les problèmes, y compris la question des loyers et de la taille des étals, ont été réglés lors de 23 séances de négociations.

De leur côté, les commerçants ne veulent rien savoir.

« C’est moderne et propre, c’est sûr, mais les étals sont tout simplement trop petits », se plaint Yoo Seung-Hee, qui vend du poisson à Noryangjin depuis 35 ans.

« J’ai failli m’évanouir quand ils ont finalement montré le nouveau marché. Il ne fait même pas la moitié de la taille de l’actuel », ajoute un autre poissonnier, Song Yong-Shik.

C’est à prendre ou à laisser, menace la direction, qui dit qu’elle va organiser un ultime tirage pour attribuer les 681 stands. « Nous encourageons les vendeurs à y participer. S’ils ne le font pas, nous l’interpréterons comme une rupture de contrat et nous recruterons de nouveaux vendeurs », prévient M. Kim.

La direction dit qu’elle ne peut pas attendre, que gérer deux immeubles coûte trop cher et que le déménagement doit être effectif au 15 mars.

« Ceci est le dernier tirage pour l’attribution d’espaces dans le nouveau bâtiment », annonce à intervalles réguliers par haut-parleur une voix féminine.

Les poissonniers refusent de se laisser intimider. Ils défilent deux fois par semaine dans les allées du marché en scandant: « Luttez par solidarité! ».

« Si on déménage, ça sera notre maison pour les 100 prochaines années. Noryangjin ne peut pas perdre son identité », justifie Baek Kyung-Boo.

AFP

 

Publisher: Lebanese Company for Information & Studies
Editeur : Société Libanaise d'Information et d’Etudes
Rédacteur en chef : Hassan Moukalled


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