La COP-21 ouvre au Bourget, dans une ambiance de plomb, due aux attentats terroristes qui ont frappé Paris. La grande manifestation de rue prévue à Paris a été annulée, sur décision du gouvernement, comme de nombreuses initiatives prévues sur des espaces publics. L’état d’urgence prolongé sur trois mois par l’Assemblée nationale pèse de tout son poids sur les mobilisations citoyennes, tant par les craintes des participants que par certaines mesures pour le moins étranges, comme l’assignation à résidence et obligation de pointer au Commissariat de militants. Au prétexte que de s’occuper d’éventuels « troubles à l’ordre public » de ces militants pourraient détourner les forces de l’ordre de leur mission anti-terroristes.
Si cette ambiance de plomb et la manifeste tentation du pouvoir politique d’utiliser l’état d’urgence au-delà de sa justification vont entraver l’expression publique citoyenne en faveur d’une politique sérieuse au regard du risque climatique, il convient toutefois de ne pas en exagérer la portée. Les résultats de la COP-21 n’en seront pas changés de manière significative, tant ils dépendent de négociations entre États dont les limites sont fixées avant même que les discours d’ouverture ne soient prononcés.
Consensus factice des discours officiels
Le texte en discussion (ici) montre que le découplage entre l’affirmation d’un objectif général – pas plus de 2°C d’élévation de la température moyenne de la planète relativement au niveau préindustriel – et la tenue des « promesses » de chaque État, sous la forme des INDC, permet de rédiger un « accord ». Le seul élément de négociation réel porte sur le montant du « fond vert », alimenté par les pays riches et destiné aux pays les plus pauvres, victimes et non responsables historique du changement climatique en cours. Ces derniers peuvent opérer une pression à la hausse sur les montants annoncés en menaçant de ne pas signer, ce qui ferait exploser le consensus factice des discours officiels.
Quant aux discussions sur le caractère « contraignant » ou non de l’accord, il faut les relativiser. La contrainte porterait sur l’obligation de confronter les promesses aux réalisation, de se revoir, de proposer de nouvelles promesses susceptibles de s’approcher de l’objectif des 2°C… et non sur les volumes de gaz à effet de serre émis. Cette limitation fondamentale est d’ailleurs en parfaite adéquation avec le texte de la Convention Climat de l’ONU signée en 1990. Cette dernière stipule dans ses « Attendus » que « Le principe de la souveraineté des Etats doit présider à la coopération internationale destinée à faire face aux changements climatiques ».
le chant du succès
La position de la France comme pays hôte l’oblige à entonner le chant du « succès », celui d’un monde où l’ensemble des gouvernements auraient pris conscience du risque climatique et décidé des mesures aptes à le limiter.
En réalité, les « promesses » affichées sont déjà loin de permettre d’atteindre l’objectif, et surtout, il est très peu plausible qu’elles soient tenues.
Les plans d’action réels des pays industrialisés ne sont pas en phase avec les promesses de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre – chaque gouvernement rêve en réalité d’augmenter sa production nationale d’objets très émetteurs comme les voitures (l’Europe a retrouvé son niveau de production de 2007 se réjouit la presse économique) ou les avions (logique, les usines de France employant le plus d’ouvriers et d’ingénieurs sont celles d’Airbus).
Quant aux pays pauvres, les promesses mises sur la table sont pour l’essentiel un outil de négociation pour obtenir des aides financières et techniques. A cet égard, il faut rappeler l’un des « Attendus » soulignant les « besoins prioritaires légitimes des pays en développement, à savoir une croissance économique durable et l’éradication de la pauvreté ». Pour mémoire, les émissions de dioxyde de carbone dues à l’énergie, par an et par habitant, des Etats-Unis atteignent 16,9 tonnes, contre 0,1 tonne pour un Éthiopien. Une étude exhaustive et récente des émissions par pays et par habitant a été réalisée par Lucas Chancel et Thomas Piketty (ici en pdf). J’en tire le graphique ci-contre qui fait en outre le distingo entre « riches » et « pauvres » à l’intérieur de chaque pays.
Mais que trouve t-on sous le pavé des négociateurs de la COP-21 ? La plage de la science du GIEC, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat créé en 1988. C’est la base de connaissances, le socle des discussions. Mais que dit-il ? Que vaut-il ? Retour en un résumé lapidaire sur son dernier rapport, publié en 2014, divisé en trois parties, pour autant de groupes de travail.
La physique du climat
Le groupe-1 du Giec répond à trois questions. Comment le climat fonctionne, comment est-il déjà transformé par nos émissions de gaz à effet de serre, comment sera t-il transformé en fonction de nos émissions futures ?
La planète se réchauffe
La réponse à la première question synthétise les savoirs acquis depuis 150 ans sur les climats passés et présents par des milliers de scientifiques. Le point clé en est la mise en évidence de l’importance des variations de l’effet de serre comme amplificateur d’évolutions climatiques provoquées par la mécanique céleste, des éruptions volcaniques majeures ou des transformations géographiques (montée des eaux, changement de végétation…). L’injection massive de gaz à effet de serre (CO2, méthane, protoxyde d’azote…) par l’industrie et l’agriculture fait désormais de la variation de l’effet de serre la cause d’un changement climatique. Les mécanismes essentiels ? L’usage massif du carbone fossile (charbon, gaz et pétrole), la déforestation tropicale, l’extension de l’élevage bovin. Les chiffres clés ? La teneur de l’atmosphère en CO2 est passée de 280 parties par million avant la Révolution industrielle à 400 ppm en 2015, alors qu’elle n’a pas dépassé 300 ppm depuis au moins 800 000 ans. La température moyenne de la planète (mesurée à un mètre au-dessus des sols et à la surface des océans) sera pour l’année 2015 de 1°C de plus qu’au début du 20ème siècle. Le niveau marin global s’élève de 3,3 mm par an en raison de la dilatation thermique de l’eau et de la fonte des glaciers. Un vaste changement géographique s’opère, visible sur les flores, sauvages et cultivées, et sur les faunes. L’océan mondial s’acidifie, en raison de l’absorption de CO2, à un rythme sans précédent depuis plus de cent millions d’années.
Ce savoir est robuste, univoque, appuyé sur des milliers d’études scientifiques publiés par les laboratoires du monde entier. Les rares contestataires, en général non spécialistes du climat, se sont discrédités par l’usage de mensonges ou la répétition d’erreurs de calculs ou de raisonnement.
Le changement futur
Le risque climatique objet de l’alerte des scientifiques concerne surtout la seconde moitié du 21ème siècle. L’inertie du système climatique fait que les émissions passées et actuelles continueront de transformer le climat durant plusieurs décennies. Et il faut y ajouter les émissions futures. Si ces dernières prolongent les tendances actuelles, le dérapage climatique sera d’une violence et d’une rapidité qui défieront les capacités d’adaptation des sociétés. La température moyenne pourrait grimper de 4 à 6°C d’ici 2100 – un écart de température réalisé en plusieurs milliers d’années lors des transitions entre périodes glaciaires et interglaciaires depuis un million d’années. Le niveau marin pourrait monter de plusieurs dizaines de centimètres d’ici 2100 et poursuivre ensuite, submergeant côtes basses et deltas. Le réchauffement des eaux et l’acidification des océans provoquant des changements majeurs dans les écosystèmes marins.
Simulations numériquesSimulations numériques
Ce savoir fait appel à des simulations numériques sur de puissants ordinateurs, seule méthode disponible pour étudier le futur climatique. Il ne peut donc prétendre à la précision des études sur le passé et le présent du climat.
Ainsi, la hausse du niveau marin suscite de vifs débats entre spécialistes, en particulier sur le comportement des calottes polaires de l’Antarctique et du Groenland. En outre, ces transformations peuvent être atténuées si les émissions de gaz à effet de serre sont maîtrisées.
Toutefois, aucune étude sérieuse publiée ne met en cause l’ordre de grandeur du changement climatique ainsi pronostiqué, ni la possibilité de l’atténuer par la réduction des émissions.
Les risques pour les sociétés
Le groupe-2 du Giec s’intéresse aux conséquences pour l’environnement et les sociétés humaines du changement climatique futur ainsi qu’aux capacités d’adaptations qui pourraient parer ces risques.
Des menaces de grande ampleur.
Même les scénarios moyens d’émissions débouchent sur de fortes inquiétudes. La sécurité alimentaire sera impactée par la hausse des températures tropicales, touchant les limites thermiques de céréales cultivées, et par les fortes incertitudes sur le devenir des moussons africaine et asiatique. La fréquence et la violence des événements extrêmes – cyclones, inondations
Vague de chaleur IndeVague de chaleur Inde
fluviales, sécheresses, alternance des phases froides et chaudes de l’océan Pacifique tropical (Niño et Niña) – s’élèvera. La montée du niveau marin menace de 100 à 400 millions de personnes (8 à 10 millions d’Égyptiens du delta du Nil pour un mètre de montée). La productivité des océans pourrait être fortement impactée par les transformations du plancton, s’ajoutant à la surpêche. Le stress hydrique va s’accentuer dans les régions méditerranéennes. Les vagues de chaleur plus fortes vont frapper de nouveaux espaces, notamment urbains. Les insectes vecteurs des maladies tropicales vont voir s’étendre leurs niches écologiques. Les évolutions climatiques seront beaucoup trop rapides au regard des capacités d’adaptation de nombreuses espèces animales et végétales.
Une mesure très incertaine
La quantification des risques par le rapport du Giec refuse les affirmations simplistes. Le changement climatique ne sera en effet pas le seul défi à relever. Il viendra s’ajouter à ceux de l’extrême pauvreté (deux milliards d’êtres humains), des tensions provoquées par le développement des pays émergents et les moins avancées sur les ressources naturelles, minérales et énergétiques, l’érosion de sols cultivés, la raréfaction des espaces propices aux espèces sauvages, les effets nocifs des insecticides agricoles, la disponibilité de l’eau potable et pour l’agriculture… et de tous les conflits économiques, sociaux et géopolitiques. Une analyse globale conduit les scientifiques à estimer qu’un changement climatique allant au-delà des 2°C d’élévation de la température moyenne relativement au niveau préindustriel serait non gérable au regard des capacités d’adaptation.
La capacité de résilience
Le risque est en effet relatif à ces dernières. L’incapacité de l’Union Européenne à faire face à la crise des réfugiés en Europe interroge : saurons nous vivre en paix dans un monde secoué par les crises climatiques, promettant des réfugiés plus nombreux ? L’incapacité des États-Unis à se préparer au cyclone qui a frappé la Nouvelle Orléans en 2005 inquiète : le Bangladesh saura t-il se préparer à la submersion de 10% de son territoire ? Les pays du Sahel sont-ils en mesure de préparer l’adaptation de leurs agricultures au climat futur ?
L’analyse du groupe-2 du Giec conclut que ces risques justifient des politiques de maîtrise des émissions de gaz à effet de serre permettant de ne pas dépasser cette limite de 2°C afin de réduire les défis à affronter.
Ce savoir ne présente pas la robustesse de celui issu du groupe-1. Il réunit des spécialistes beaucoup plus divers – des géographes aux biologistes, des économistes aux politologues. Mais les questions traitées font désormais l’objet de programmes de recherche qui montrent que la résilience des organisations sociales peut céder devant les coups de boutoir du climat si ce dernier évolue trop vite et trop fort. Une résilience directement liée à la qualité de nos systèmes politiques : sont-ils en mesure d’anticiper les risques, de gérer les incertitudes, d’utiliser l’expertise scientifique… bref, de voir beaucoup plus loin que l’élection qui vient ou la survie d’un pouvoir dictatorial ?
La géopolitique du climat
Le groupe-3 du Giec se penche sur les politiques d’atténuation du risque, et donc de maîtrise des émissions de gaz à effet de serre. Sur la base de l’objectif climatique – pas plus de 2°C d’augmentation de la température moyenne – accepté par les gouvernements lors de la COP de Copenhague en 2009. Ce qui suppose une division par deux des émissions mondiales d’ici 2050 et leur réduction aux capacités d’absorption des océans et des sols d’ici la fin du siècle.
Constats et chiffres
Le premier résultat du groupe-3 c’est de démontrer que les trajectoires actuelles sont totalement incompatibles avec l’objectif. Le second est de souligner que l’inertie des systèmes techniques, la
Analyse des promesses des EtatsAnalyse des promesses des Etats
longue durée de vie des infrastructures énergétiques et de transport signifient que les décisions actuelles peuvent enfermer les sociétés dans des stratégies d’émissions intensives.
Paradoxalement, l’urgence climatique ne consiste pas à chasser le gaspi maintenant, mais à décider sans attendre des investissements massifs dans des infrastructures, des politiques urbaines, agricoles, de transport… permettant la «décarbonation» de l’économie.
Le troisième résultat se fonde sur l’un des fondements de la Convention Climat de l’ONU : la géopolitique du climat sera juste et équitable, et donc visera une convergence des niveaux de vie des populations, ou ne sera pas. Ces constats sont robustes. La suite l’est moins.
«Prier tous les matins pour la mondialisation et tous les soirs pour le climat – donc agir pour la première toute la journée et passer la nuit à rêver d’un monde où le changement climatique est contenu.»
Les scénarios étudiés par les économistes montrent que seuls ceux qui utilisent toute la panoplie d’actions – modération des consommations, efficacité énergétique, déploiement massif des énergies non carbonées pour l’électricité (renouvelables et nucléaire) ainsi que la capture et le stockage géologique du CO2 au sortir des usines – ont une bonne chance d’atteindre l’objectif.
Mais ces actions se heurtent à des difficultés majeures dont les solutions ne font pas consensus puisqu’elles s’opposent à des dogmes majeurs des modèles économiques suivis par l’écrasante majorité des gouvernements.
Comment « raccourcir » les circuits entre production et consommation lorsque le dogme de l’avantage comparatif des territoires et de la concurrence entre pays assorti du libre-échange aboutit à délocaliser massivement des usines de production des biens de consommation de masse dans les pays à main d’oeuvre abondante, bon marché et dont les systèmes électriques sont massivement carboné ? Prier tous les matins pour la mondialisation et tous les soirs pour le climat – donc agir pour la première toute la journée et passer la nuit à rêver d’un monde où le changement climatique est contenu – voilà où conduisent les dogmes de l’économie nobélisable, dominante dans les Ecoles de commerce et les Universités, hégémonique dans les banques, les industries et les gouvernements.
La modération des consommations se heurte aux inégalités sociales – incompatibles avec la sobriété générale affirment des économistes puisque le rêve de tout pauvre est de devenir comme les riches, quand d’autres, plutôt bien vus des pouvoirs politiques, croient toujours aux vertus du marché et de la concurrence exacerbée. Certains économistes estiment que la «croissance verte» est une illusion pour les pays développés, tandis que d’autres y croient dur comme fer. Certains estiment qu’il faut contracter le commerce mondial, d’autres ne croient qu’en la libéralisation maximale des échanges. Certains voient la politique du climat comme un terrain d’action permettant de mettre en difficulté le capitalisme, d’autres prétendent que ce dernier contribuera à la solution du problème. Le climat n’éteint pas les conflits de valeurs et le débat sur les choix de société, une vision réaliste des enjeux de la COP-21 en révèle au contraire le lien avec le dossier climatique. Autant de points traités dans mon livre « Les dessous de la cacophonie climatique ».
Source: http://sciences.blogs.liberation.fr