C’est une grenouille baptisée Atelopus Farci pour son don du camouflage dans les régions de Colombie où se trouvaient aussi les combattants des Farc. Et quand la guérilla a perdu le contrôle de ces territoires… la grenouille a disparu.

John Douglas Lynch, professeur de l’Université Nationale à Bogota, l’a découverte il y a 30 ans. « Tenue de camouflage, se dissimulant dans la jungle… j’ai pensé aux Farc », explique-t-il en évoquant la rébellion des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc, marxistes), issue en 1964 d’une insurrection paysanne.

« Dans la description (scientifique), j’ai pris soin de n’aborder aucun aspect politique révolutionnaire. Mais j’étais impressionné par le fait que la guérilla protège les forêts andines », confie à l’AFP ce chercheur originaire des Etats-Unis, dans un espagnol marqué d’un fort accent.

L’Atelopus Farci – une des 730 espèces de grenouilles répertoriées en Colombie – était vert olive, le dos du mâle couvert de vésicules, celui de la femelle plus lisse. Elle se nourrissait d’insectes et vivait dans la jungle montagneuse des Andes colombiennes, au-delà des 2.000 mètres d’altitude, près d’Alban, département de Tolima (centre). En 1985, John Douglas Lynch a pu collecter quelque 200 de ces grenouilles en une seule nuit.

Le nom de l’Atelopus Farci n’est pas allé sans susciter de polémique.

« C’était sa décision. Je ne lui ai jamais demandé pourquoi. Mais selon moi, c’était une bêtise. Cela aurait pu en faire une cible militaire d’autres groupes armés, y compris du gouvernement lui-même », estime Gustavo Gonzalez, étudiant en maîtrise de biologie dans la même université.

La présence de la guérilla dans les forêts d’Alban a empêché le déboisement et l’extension de l’agriculture, permettant à l’Atelopus Farci de profiter d’un écosystème vierge jusqu’à la fin des années 1990.

Cette même violence qui la protégeait a été un obstacle aux recherches scientifiques du chercheur Lynch. Il a dû parfois payer un « péage » ou « vaccin », selon les expressions colombiennes, et accepter d’être flanqué d’un guide guérilléro dans certaines de ses expéditions.

Mais il a abandonné sa quête de grenouilles après avoir été séquestré plusieurs jours en 1999 par les Farc et en 2000 par l’Armée de libération nationale (ELN), autre guérilla d’extrême gauche.

« Le principal impact du conflit est de limiter l’accès au terrain et la possibilité d’investigation, sur la durée, dans une grande partie du pays», explique à l’AFP Brigitte Baptiste, directrice de l’Institut Humboldt, une référence en matière d’étude de la biodiversité en Colombie.

Plusieurs espèces ont été affectées par les aléas du conflit, comme le démontre Lina Tono dans sa thèse intitulée « Animalier de la guerre et de la paix en Colombie ». Ainsi la diminution de l’intensité de la guerre ces dernières années s’est traduite par une extension des plantations de palmiers à huile, au détriment des forêts natives – très anciennes, remontant à l’époque précolombienne – où vit le singe araignée (Ateles hybridus).

Quand le gouvernement de l’ex-président de droite Alvaro Uribe (2002-2010) a renforcé la présence de l’armée dans tout le pays, la guérilla s’est repliée dans d’autres zones et John Douglas Lynch a pu retourner à Alban. Mais il a eu beau parcourir la jungle à la recherche de l’Atelopus Farci, il n’a plus jamais vu un seul spécimen de cette grenouille.

Il a alors noté que les espaces aquatiques où il la trouvait auparavant sentaient mauvais et ne contenaient plus de têtards. Puis il a découvert que des élevages de porcs avaient été installés en amont, contaminant les cours d’eau de leurs déjections.

Les habitats d’espèces andines telles que l’Atelopus Farci sont très restreints géographiquement et s’ils sont détruits, ces espèces disparaissent. Le chercheur – qui a découvert 250 espèces de grenouilles à lui seul – suppose que c’est ce qui est arrivé au batracien doué pour le camouflage.

Il craint que la fin du plus ancien conflit des Amériques, qui affecte la Colombie depuis plus d’un demi-siècle, ait un impact négatif sur la préservation de la faune.

Brigitte Baptiste relativise: bien que les Farc et d’autres guérillas aient imposé des règles de gestion de la forêt et de la pêche dans leurs zones de contrôle, la protection de certaines espèces n’était pas pour autant une priorité pour elles.

Tous deux néanmoins conviennent que si le gouvernement et les Farc, qui négocient depuis plus de trois ans, parviennent à signer un accord de paix, de nouveaux horizons vont s’ouvrir à la science en Colombie.

 

AFP

 

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