Le Sénat a saisi la justice pour faux témoignage devant une commission d’enquête parlementaire, une première, en transmettant au parquet le dossier du pneumologue Michel Aubier, accusé d’avoir menti sous serment, en niant tout lien avec l’industrie pétrolière, alors qu’il était rétribué par le groupe Total.
« Il appartiendra au procureur de la République d’apprécier l’opportunité d’engager des poursuites », a précisé jeudi la présidence du Sénat à l’issue d’une réunion de son Bureau, l’équivalent de son conseil d’administration.
Celui-ci a d’ailleurs souligné que « la prestation de serment devant une commission d’enquête était un acte solennel qui engageait son auteur ».
Le pneumologue risque jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende.
« Je n’ai aucun lien d’intérêt avec les acteurs économiques », avait-il déclaré le 16 avril 2015 devant la commission d’enquête sur le coût de la pollution atmosphérique. Il venait de jurer de « dire toute la vérité, rien que la vérité », en levant la main droite.
Ancien chef de service à l’hôpital Bichat à Paris, il était interrogé sur la façon dont l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (APHP) appréhende la question des coûts économiques et financiers de la pollution de l’air, en particulier par la prise en charge des pathologies qui y sont liées.
Mais en mars, M. Aubier a reconnu devant la commission qui s’était réunie exceptionnellement à huis clos, après des révélations de Libération et du Canard enchaîné, qu’il touchait de 50.000 à 60.000 euros par an du groupe pétrolier Total depuis la fin des années 1990.
« Ce mensonge est d’autant plus inadmissible qu’il touche une question de santé publique », s’est indignée la rapporteure de la commission, la sénatrice écologiste Leila Aïchi. « M. Aubier a, lors de sa première audition, minimisé l’impact du diesel sur la santé », lui reproche-t-elle.
De son côté, la ministre de la Santé Marisol Touraine a qualifié le comportement de M. Aubier d' »inadmissible ». « La décision du Sénat est à la hauteur de la gravité des faits », a jugé la ministre.
Elle a aussi annoncé que l’APHP « étudie la situation individuelle de M. Aubier et examine les conditions d’une éventuelle procédure ».
« Au-delà de son cas personnel, je veux dire que la communauté médicale de l’APHP, qui a été profondément atteinte par cela, a élaboré un guide pour définir de façon plus précise la façon dont les médecins doivent se comporter face aux conflits d’intérêt », a-t-elle indiqué dans un communiqué.
A l’issue de ses travaux, la commission présidée par Jean-François Husson (Les Républicains) avait conclu que la pollution de l’air coûterait plus de 100 milliards d’euros par an à la France, en dépenses de santé, absentéisme dans les entreprises ou baisse des rendements agricoles.
– Frédéric Oudéa dans le viseur ? –
Elle avait préconisé 61 mesures pour « une véritable fiscalité écologique » et pour « compléter les normes existantes ». Dans les transports, elle avait proposé notamment l’alignement progressif jusqu’en 2020 de la fiscalité de l’essence et du diesel.
Le Sénat pourrait saisir la justice pour une autre affaire de faux témoignage. Le président et le rapporteur de la commission d’enquête sur l’évasion fiscale, Philippe Dominati (LR) et Éric Bocquet (PCF), ont saisi le président de la Haute Assemblée Gérard Larcher du cas du responsable de la Société générale, Frédéric Oudéa, dont la sincérité devant cette commission est mise en doute depuis les révélations des Panama Papers.
M. Oudéa sera entendu à nouveau le 11 mai par la commission des Finances. « C’est au vu du résultat de ces auditions que le bureau de mai pourra éventuellement être saisi des suites à donner à cette affaire », a annoncé mardi M. Larcher.
« La Société Générale a fermé ses implantations dans les pays qui figuraient sur la liste grise, mais aussi dans ceux que désignait la liste des États non coopératifs, c’est-à-dire en pratique, pour nous, à Panama », avait déclaré sous serment devant la commission en avril 2012 M. Oudéa.
« A l’évidence, les informations » des Panama Papers « contredisent fondamentalement » ces déclarations, a estimé M. Bocquet. « En réalité, 979 entités offshore ont été créées par la Société Générale via la société panaméenne Mossack Fonseca, dont elle est l’un des principaux clients », a-t-il affirmé.
« J’ai répondu avec la plus totale sincérité à toutes les questions de la commission d’enquête du Sénat d’avril 2012 et je serais heureux d’apporter toutes les explications et informations relatives aux révélations récentes de la presse à l’ensemble des membres de la commission des Finances du Sénat », a déclaré par la suite M. Oudéa à l’issue d’un entretien avec la présidente de la commission des Finances, Michèle André (PS).
AFP