Suzanne BAAKLINI | L’Orient Le Jour

Le ministre de l’Agriculture dément avoir accordé les autorisations ; la société civile produit un document prouvant le contraire ; le ministre de l’Environnement (re)demande l’arrêt des travaux.

Le site de construction du très controversé barrage de Janné (Nahr Ibrahim) se trouve de nouveau au centre d’une polémique depuis qu’une nouvelle opération d’abattage d’arbres à grande échelle y a recommencé il y a plusieurs jours. Des photos prises par des habitants attestent de l’ampleur des destructions.

Rappelons qu’une étude commandée par l’Office des eaux de Beyrouth qui finance ce projet avait montré, l’été dernier, que le barrage aurait des conséquences très graves sur la biodiversité, les ressources naturelles et le patrimoine. Cette étude a poussé le ministère de l’Environnement à demander l’arrêt des travaux et le transfert du dossier en Conseil des ministres pour une nouvelle décision. Le ministère de l’Énergie et de l’Eau avait alors désapprouvé cette démarche. Le barrage, qui devrait devenir l’un des plus grands du Moyen-Orient, suscite aussi des craintes liées à la nature du sol (très karstique, donc très perméable) et au risque sismique de cette localité, traversée par trois failles majeures.

L’abattage d’arbres, lui, doit bénéficier de l’accord du ministère de l’Agriculture, d’où la polémique actuelle. Le militant Raja Noujaim fournit un document qui, selon lui, prouve l’assentiment du ministre de l’Agriculture Akram Chehayeb : une copie de la demande, formulée par l’entrepreneur, pour une extension du permis d’abattage d’arbres, sur laquelle le ministre a ajouté « Approbation jusqu’au 30-6-2016 », signée de son nom. Le militant insiste sur le fait que « ce document signé par le ministre est illégal du fait que le dossier entier du barrage de Janné a fait l’objet d’une décision d’arrêt de la part du ministère de l’Environnement et a été transféré en Conseil des ministres, qui n’a encore pris aucune nouvelle décision ». Il considère donc « qu’il n’y a tout bonnement pas de permis d’abattage légal et que l’entrepreneur agit en infraction de la loi ».

Raja Noujaim affirme que les militants ont demandé à l’entrepreneur sur place de fournir le permis qui autorise l’abattage d’arbres, mais que celui-ci a refusé de le faire, leur demandant de s’adresser directement à l’Office des eaux et au ministère de l’Énergie et de l’Eau. M. Noujaim affirme avoir notifié de l’affaire le directeur concerné au ministère de l’Agriculture ainsi que le mohafez du mont-Liban Fouad Fleifel. À L’Orient-Le Jour, il confie que « ce sont les habitants de la région qui ont remarqué cette activité inhabituelle, quand ils ont vu les bulldozers sortir du périmètre des routes (conçues pour mener au futur barrage) pour s’aventurer dans les bois menant aux villages de Lassa et Aïn Ghoubieh ». Il ajoute : « Les photos montrent que les arbres sont arrachés par bulldozer et non à l’aide de tronçonneuses », estimant que quelque 1 500 arbres, sinon plus, ont été arrachés sur les deux rives du fleuve.

En attendant le procès-verbal…

Interrogé par L’OLJ sur cette affaire, le ministre Akram Chehayeb dément formellement avoir donné un quelconque permis pour l’abattage d’arbres à Janné. « L’abattage d’arbres est terminé depuis longtemps, bien que les travaux sur le barrage se poursuivent », dit-il. Qu’en est-il de ce document qui atteste qu’il a lui-même donné une autorisation jusqu’au 30 juin ? « Ce n’est pas une autorisation, nous avons notifié l’entrepreneur qu’il doit nous fournir des informations sur les arbres coupés pour qu’un certain nombre soient plantés à leur place », répond-il.

Et pourtant, l’abattage se poursuit bel et bien… « Le gouvernement doit faire cesser ces opérations si elles se poursuivent », dit-il. Mais n’est-ce pas le rôle du ministère de l’Agriculture ? « Nous avons envoyé une équipe sur le terrain, elle reviendra avec un procès-verbal et je pourrai alors confirmer ce qui se passe », souligne-t-il.

Prié de commenter ces propos, Raja Noujaim assure, sur base d’assurances fournies par les habitants de la région, qu’aucune équipe du ministère n’est montée jusque-là sur le site. « Si l’abattage est terminé, où est le décompte des arbres abattus mentionné dans les documents officiels ? Et pourquoi avoir prolongé le délai jusqu’au 30 juin ? Le document est clair, il s’agit bien d’une prolongation du délai de l’autorisation pour l’abattage », insiste le militant.

Le ministre de l’Environnement, Mohammad Machnouk, a publié pour sa part un communiqué certifiant que l’abattage d’arbres se poursuit bel et bien dans cette région. Dans ce texte où il demande l’arrêt de ces opérations sur le site de construction du barrage de Janné, M. Machnouk affirme avoir adressé une note au Premier ministre Tammam Salam, au ministre de l’Agriculture Akram Chehayeb, au ministre de l’Énergie et de l’Eau Arthur Nazarian et au mohafez du Mont-Liban Fouad Fleifel, leur exprimant son « étonnement » à la suite de la « permission accordée par le ministère de l’Agriculture d’abattre des arbres à nouveau sur le chantier de Janné ». Il a exhorté le Premier ministre à soulever l’affaire en Conseil des ministres le plus tôt possible.

De son côté, le Mouvement écologique libanais (Lem), un rassemblement d’une soixantaine d’ONG, a adressé une lettre ouverte au Premier ministre lui demandant « de sauver la vallée de Janné-Nahr Ibrahim ». « La biodiversité qui caractérise le Liban est en péril en raison des agressions contre l’environnement et des projets non étudiés, notamment ceux de barrages contestables », poursuit le communiqué.

Le Lem « appelle à arrêter les travaux sur le site du barrage de Janné-Nahr Ibrahim et à geler le permis d’abattage d’arbres au plus vite, en raison des dommages irréparables causés à l’environnement, des menaces sur la sécurité publique et de la non-viabilité économique du projet ».

Publisher: Lebanese Company for Information & Studies
Editeur : Société Libanaise d'Information et d’Etudes
Rédacteur en chef : Hassan Moukalled


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