Ses promoteurs la présentent comme une première mondiale: inaugurée mardi à Rittershoffen au nord de Strasbourg, une centrale géothermique puise de l’eau à 165° dans les entrailles de la terre pour fournir en vapeur une usine d’amidon.
«La France peut être fière de cette première mondiale», s’est réjouie sur place la ministre de l’Environnement et de l’Energie Ségolène Royal, pour qui cette centrale installée en rase campagne «est un formidable espoir pour beaucoup de pays qui n’ont pas accès à l’électricité».
Réalisée par le groupe ES (Electricité de Strasbourg), filiale d’EDF, l’installation alimente une usine avec une puissance de 24 mégawatts – l’équivalent de l’énergie nécessaire au chauffage de 27.000 logements.
L’investissement de 55 millions d’euros a été partagé entre le groupe Roquette (propriétaire de l’usine d’amidon), ES et la Caisse des dépôts, au sein d’une société commune dédiée, baptisée Ecogi (Exploitation de la chaleur d’origine géothermique pour l’industrie).
Concrètement, il s’agit d’aller puiser, à 2.600 mètres de profondeur, une eau à 165 degrés, piégée dans les failles caractéristiques du sous-sol de la vallée rhénane.
Remontée à la surface, l’eau passe par un échangeur de chaleur, avant d’être réinjectée dans les entrailles de la terre. L’énergie venue des profondeurs permet de chauffer un circuit d’eau secondaire, acheminée par une canalisation sous-terraine jusqu’à l’usine du groupe Roquette à Beinheim, à 15 km de là. En sortie, elle effectue le chemin inverse jusqu’à la centrale.
Cette «boucle» permet d’obtenir une chaleur continue, au «rendement permanent», précise Ecogi.
Pour l’usine d’amidon, la géothermie remplacera une partie de l’alimentation en gaz, ce qui lui fera économiser 39.000 tonnes de C02 par an, l’équivalent des émissions de 25.000 voitures.
En s’ajoutant à la grosse chaudière au bois qui équipe déjà le site, elle porte à 75% la part des ressources renouvelables dans la consommation énergétique du site.
Une énergie à prix fixe, disponible en permanence: «ce sont deux facteurs de stabilité essentiels pour la compétitivité d’un site gros consommateur comme celui-ci», explique à l’AFP Patrick François, directeur régional de la Caisse des dépôts.
La technique de forage, appelée EGS (Enhanced Geothermal System) «n’a rien à voir» avec la controversée fracturation hydraulique des gaz de schiste, car elle puise l’eau dans des failles naturelles existantes, sans devoir effectuer des injections massives de matière, souligne de son côté Bernard Kempf, directeur du développement d’ES.
Les promoteurs du projet ont également pris soin d’installer, dans un rayon de quelques kilomètres autour du forage, des stations de mesure et de contrôle de la sismicité, afin de réduire le risque de provoquer de légères secousses.
Le but est d’éviter les déboires survenus non loin de là à Bâle (Suisse), fin 2006-début 2007: plusieurs micro-sésismes, jusqu’à une magnitude de 3,4, avaient entraîné l’arrêt d’un projet et provoqué de nombreuses fissures chez des riverains, à des dizaines de km à la ronde.
Une autre particularité de ce projet est la grande distance – 15 km – entre la centrale de production et l’usine ainsi alimentée en énergie.
Cette distance en a renchéri les coûts de 15 millions d’euros. «Mais à proximité immédiate de l’usine, il aurait fallu forer à des profondeurs beaucoup plus importantes, ce qui était techniquement très difficile. Et la perte de quelques degrés pendant le transport est marginale», souligne M. Kempf.
Sans commune mesure avec les pompes à chaleur géothermiques qui ne puisent la chaleur qu’à quelques mètres dans le sol, la géothermie profonde est plus connue pour son potentiel en chauffage urbain. D’autres projets — en chauffage urbain ou en application industrielle — sont à l’étude en France, notamment à Wissembourg et Illkirch en Alsace, a précisé le PDG d’EDF Jean-Bernard Lévy.
«Le projet de Rittershoffen nous amène à renforcer notre engagement dans toutes les énergies renouvelables», s’est-il réjoui. Toutefois, a souligné Mme Royal, «le nucléaire va rester le socle» du mix énergétique français, le gouvernement poursuivant l’objectif de réduire d’ici à 2025 la part du nucléaire de 75 à 50% dans la production d’électricité.
AFP