De Genève à Cherbourg, les plaintes contre des sites nucléaires accusés de polluer l’eau avec du tritium se multiplient, alors que le degré de toxicité de ce radioélément fait débat.
«Est-ce que, une bonne fois pour toutes, on pourrait savoir la vérité» sur le tritium?, s’impatientait récemment Jacques Hamelin, vice-président chargé de l’eau à la communauté de communes de la Hague, en Normandie, à l’issue d’une commission locale d’information (CLI), qui rassemble autour de sites nucléaires élus locaux, autorité de sûreté (ASN) et industriels.
M. Hamelin est maire de Digulleville (Manche) où se trouve le plus gros centre de stockage de déchets nucléaires français (930.000 tonnes de déchets, dont 100 kg de plutonium), le CSM, contre lequel Greenpeace vient d’annoncer avoir porté plainte à Cherbourg pour pollution de l’eau, accusé de réception à l’appui. Le parquet ne communique pas sur cette affaire.
Selon l’organisation écologiste, la nappe phréatique sous le CSM est «de loin» la plus polluée de France en tritium, ce radioélément à base d’hydrogène, beaucoup plus fluide que le plutonium mais nettement moins dangereux.
Greenpeace s’émeut que soit «couramment» observé plus de 100 becquerels par litre (Bq/l) dans le ruisseau Sainte-Hélène, proche du CSM, alors que ce radionucléide est normalement à 1 Bq/l dans les rivières. Et dénonce par exemple une moyenne de 81.000 Bq/l en 2015 dans un des puits de contrôle de la nappe phréatique sous le CSM.
Pour l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), qui gère le CSM, comme pour l’ASN, le marquage au tritium n’est dû qu’à un accident de 1976. Depuis, «globalement», les taux baissent dans la nappe, selon l’ASN. Et l’Andra assure que le centre est désormais étanche, contrairement à ce que pense Greenpeace. Le CSM, où les déchets, les premières années, étaient conditionnés dans des conditions beaucoup moins strictes qu’aujourd’hui, a reçu des fûts entre 1969 et 1994.
Pour le gendarme du nucléaire, le centre respecte la réglementation et les valeurs relevées dans les rivières alentours sont «extrêmement faibles», comparées au seuil de potabilité de l’eau fixé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à 10.000 Bq/l.
«Une consommation exclusive de l’eau de la Sainte Hélène comme eau de boisson aboutirait à une exposition à peu près 10.000 fois inférieure» à la limite d’exposition du public à la radioactivité qui est de 1 millisievert par an, hors radiologie médicale, ajoute Guillaume Bouyt, chef de l’ASN à Caen.
«L’ASN applique les normes mais est-ce-que les normes sont trop élevées ou pas ?», continue toutefois à s’interroger M. Hamelin. Et il n’est pas le seul.
Dans un rapport demandé par l’ANCLI, l’Association nationale des commissions locales d’information nucléaire, un scientifique du CNRS concluait en 2010 à une «sous-estimation» par «les instances de radioprotection» de «la toxicité» du tritium, seul radioélément dont les rejets autorisés augmentent en France. Par ailleurs «le manque de données» sur des «effets cancérogènes du tritium (…) est flagrant», selon ce rapport.
La méfiance vient aussi de l’étranger. Genève a porté plainte contre X en mars pour «mise en danger de la vie d’autrui» au pôle de santé publique de Paris. La ville suisse dénonce notamment des fuites de tritium à la centrale nucléaire du Bugey (Ain). EDF a constaté un pic à 1.800 Bq/l dans les eaux souterraines après une fuite fin 2014.
En France, parmi les procédures en cours, le tribunal correctionnel de Valence (Drôme) va examiner le 24 novembre en citation directe une plainte de Sortir du nucléaire contre EDF après un pic à 690 Bq/l dans un bâtiment réacteur du Tricastin en 2013.
A Penly (Seine-maritime), en 2013, EDF a déclaré un pic de seulement quelques dizaines de Bq/l dans les eaux souterraines. Les antinucléaires ont saisi la justice et l’exploitant a été condamné par le tribunal de police à des amendes pour un défaut d’étanchéité d’une pièce.
Les plaignants se fondent à chaque fois sur des rappels à l’ordre de l’ASN à l’exploitant.
AFP