Malgré une pluie glaciale de printemps, la foule se presse devant les guichets du musée Van Gogh d’Amsterdam: 17 millions de voyageurs annuels envahissent les ruelles de la capitale néerlandaise. Riverains et politiques s’inquiètent d’un tel raz-de-marée.
« C’est mardi et il pleut. Il ne devrait pas y avoir tant de monde ici! », s’exclame Matheus Risso, un Brésilien de 25 ans, sous les voûtes du Rijksmuseum, à quelques pas du bâtiment abritant « Arles-Nuit étoilée sur le Rhône », l’un des plus grands chefs-d’oeuvre de Van Gogh.
Dans la ville aux 165 canaux, le nombre de touristes augmente de 5% par an depuis des années et « pourrait atteindre les 23 millions en 2025 », selon Sebastiaan Meijer, porte-parole du conseiller municipal en charge du Tourisme. Parmi eux, de plus en plus de visiteurs étrangers: +20% en cinq ans.
« Ce n’est pas vraiment une surprise: nous avons investi près de douze milliards d’euros dans la culture à Amsterdam, avec la rénovation du Rijksmuseum, mais aussi celles du musée maritime ou du musée du film », explique à l’AFP la porte-parole de l’équipe marketing de la ville, Machteld Ligtvoet, « alors les gens veulent venir visiter. »
Les files s’allongent, les rues se comblent, les restaurants, les hôtels et les parkings se remplissent. A tel point qu’Amsterdam a récemment décidé d’économiser en matière de promotion, selon Daniël Peters, chef de file du parti socialiste (SP) au sein de la majorité.
Le maire Eberhard van der Laan a même lancé un appel aux 6,8 millions de visiteurs de plus d’un jour pour qu’ils aillent loger hors de la ville, à Rotterdam, La Haye ou Utrecht… « Nous ne devons plus rien faire pour attirer du monde ici », a-t-il déclaré au journal Het Parool.
Devant une ville à quasi-saturation, il a posé des conditions d’exploitation aux parcs, plaines et canaux, pour tenter d’endiguer le flot des 2.000 événements qui font bouillonner Amsterdam toute l’année, dont 170 festivals attirant plus de 2.000 visiteurs, selon son porte-parole Bas Bruijn.
Car l’affluence irrite nombre des 830.000 habitants. « Amsterdam possède un centre-ville historique où les ruelles sont étroites. S’il y circule des cars de touristes, des vélos à bière, des vélos-taxis, cela devient trop petit et entraîne une certaine agressivité », remarque Marjolein Moorman, cheffe de l’opposition au conseil municipal (PvdA).
Rues sales, problèmes de circulation, visiteurs incapables de manoeuvrer correctement des deux-roues… Certains jugent le prix trop cher à payer, même si le tourisme génère 100.000 emplois à Amsterdam et de lucratives dépenses de voyageurs, chiffrées à 10,2 milliards d’euros en 2014 à l’échelle du pays, selon l’Office central des statistiques (CBS).
Mais si les inconvénients du tourisme finissent par dépasser les avantages, le point de basculement sera alors atteint à Amsterdam, mettent en garde des experts.
« Nous devons veiller à ne pas dépasser ce palier et prendre ce problème à bras-le-corps », insiste Mme Moorman.
Objectif: désengorger le centre-ville exigu, son célèbre quartier rouge et ses lieux historiques prisés de tous.
Pour l’élue locale, il faut chasser du centre les imposants cars en leur proposant des parkings aux abords de la capitale, et traquer les abus en matière de locations d’appartements entre particuliers via des sites comme Airbnb, en limitant le nombre de jours autorisés à trente au lieu de soixante.
Sans oublier, bien sûr, de résorber les queues devant les musées. Réputée pour ses interminables files d’attente, la Maison Anne Frank vient d’opter pour un système de visites avec créneaux horaires prédéterminés lors de l’achat du billet en ligne, comme le font nombre de musées et sites touristiques ailleurs dans le monde.
Peu enclins à faire le pied de grue pendant des heures, certains touristes comme le Brésilien Matheus font un autre choix: « Moi, j’irai voir les musées alternatifs, sur la torture et le sexe! », dit-il.
Amsterdam regorge en effet d’offres décalées, comme le musée du haschich, de la marijuana et du chanvre, l’ancien chantier naval du Kinetisch Noord investi par un collectif d’artistes avec, à deux pas, une serre transformée en restaurant ou encore un bar aux murs et aux fauteuils de glace à une température ambiante de -9,5°C.
« Chaque quartier a son propre caractère », souligne l’équipe marketing I amsterdam, en vantant le « mélange animé de culture, cuisine et cafés » du Pijp ou « l’art de l’Âge d’or » et le « chic haut-de-gamme » du Oud-Zuid.
C’est d’ailleurs aux abords d’Amsterdam, où les bars et restaurants sont ouverts sans interruption, qu’ont été délocalisés certains grands événements publics: « La vie nocturne y est devenue plus diversifiée et plus intéressante », plaide le maire.
« Bien sûr, vous voulez voir les canaux… mais allez jeter un oeil au Nord ou au Sud, par exemple! », encourage la porte-parole de l’équipe marketing, faisant la promotion de la « région métropolitaine d’Amsterdam », avec sa plage à l’Ouest, les tulipes du jardin à bulbes Keukenhof au Sud et les châteaux et jardins des Etangs de Loosdrecht à l’Est.
La capitale néerlandaise invite aussi à venir en basse saison, en hiver, lorsqu’Amsterdam Light Festival orne ruelles et canaux de sculptures luminescentes dans une atmosphère féérique.
En attendant la mise en oeuvre de ces solutions, dans les files et dans la rue, les touristes devront prendre leur mal en patience. Tout comme les habitants.
AFP