Des scientifiques américains se sont donnés pour objectif de faire renaître de ses cendres l’orchidée fantôme. Une espèce si rare qu’elle a suscité la convoitise de plusieurs générations de braconniers.
Armé de son pistolet agrafeur, Mike Kane s’enfonce dans les profondeurs d’un marais de Floride pour tenter de donner naissance à l’une des fleurs les plus rares du monde.
Portant plusieurs dizaines de petits carrés de toile de jute minutieusement entrelacés avec des racines vertes, le scientifique s’applique patiemment à replanter ce que beaucoup ont brutalement arraché.
L’apparence presque érotique de cette fleur hors du commun, la pureté de sa blancheur et sa spectaculaire légèreté suscite les passions dans le monde entier.
La rareté de l’orchidée fantôme (Dendrophylax lindenii), ajoute à sa valeur. La floraison n’apparaît qu’une fois par an, généralement à peine plus d’une semaine en juin ou en juillet. Elle pousse encore plus difficilement que les autres espèces d’orchidées et survit rarement en dehors de son habitat naturel.
Il fut un temps où elle foisonnait dans les Everglades, une région marécageuse à la pointe sud de la Floride. Aujourd’hui, les experts n’en comptent pas plus de 2.000 dans l’ensemble de cet Etat américain. Cuba en abrite quelques-unes également, mais c’est tout ce qu’il reste de cette espèce à la surface du globe.
Le braconnage, autant que l’urbanisation et la pollution aux pesticides, sont tenus responsables de sa disparation, estime Mike Kane, professeur d’horticulture environnementale à l’Université de Floride.
« Nous sommes en train de les perdre », s’inquiète le professeur, qui mène un projet inédit pour repeupler les marais d’orchidées.
Avec ses étudiants, il fait pousser les orchidées, sans les cloner, dans son laboratoire au nord de la Floride.
Lorsque les plantes ont pu pousser plusieurs années en laboratoire, ils les transplantent dans un endroit isolé au coeur du parc naturel de Florida Panther, au sud de « l’Etat ensoleillé ».
Un lieu particulièrement tranquille abrité par une canopée, où frênes, cyprès et marais offrent un cadre idéal pour la conservation de l’orchidée fantôme.
« Le public ne peut pas venir jusqu’ici et voler les orchidées, il ne peut pas non plus interrompre nos expériences », se félicite Jameson Coopman, étudiant dans le laboratoire de Mike Kane.
Les deux hommes se relayent pour agrafer les petits carrés de toile, en prenant soin de ne pas abîmer les racines, contre des troncs d’arbres pendant qu’un alligator est tranquillement allongé au soleil à quelques mètres de là.
Une fois agrafée, la toile se décompose mais les racines de l’orchidée, semblables à des araignées, vont étreindre l’écorce de l’arbre et, avec un peu de chance, s’y installer.
« A partir de là, on laisse la plante faire le reste », explique Jameson Coopman.
Cette année, ils sont parvenus à en planter 160. L’année d’avant, 80. Kane se souvient avoir tapé dans la main de son étudiant vietnamien Nguyen Hoang, les jambes enfoncées dans le marais, lorsqu’ils ont découvert quelques semaines plus tard que la plupart avait survécu.
« Elles étaient en pleine forme. C’était incroyable. On était vraiment surpris ».
Le laboratoire de Mike Kane a connu un autre succès inhabituel lorsque ses botanistes ont réussi à faire fleurir les orchidées fantômes en trois ans. Dans la nature, elles peuvent prendre 16 ans ou plus.
L’orchidée fantôme est considérée comme une espèce en danger en Floride. Particulièrement prisée par les braconniers, Dendrophylax lindenii s’est faite connaître du grand public grâce au livre de Susan Orlean « Le voleur d’orchidées: Une histoire vraie », ainsi que le film qui en a été tiré, « Adaptation » (2002).
« L’orchidée fantôme est en voie de disparation car les gens l’ont arrachée de la forêt, déracinée et envoyée dans des pots aux quatre coins du pays », regrette Carl Lewis, directeur du jardin botanique tropical Fairchild à Miami.
Il dirige un projet parallèle, « the Million Orchid Project », visant à rétablir huit différentes sortes d’orchidées rares, y compris l’orchidée fantôme, dans des espaces urbains du sud de la Floride sous cinq ans.
« Il y a eu tellement de vols qu’il ne nous en reste presque plus », constate M. Lewis, qui clone désormais des orchidées fantômes dans son laboratoire.
Dans un autre recoin des Everglades, le biologiste Mike Owen surveille de près 120 des 380 orchidées fantômes plantées dans le parc protégé Fakahatchee Strand.
Au cours des 15 dernières années, il a détecté neuf vols. Ajoutés à la grosse vingtaine de morts apparemment naturelles, le biologiste prédit un avenir compliqué à cette fleur fragile.
« Si vous sortez une orchidée fantôme de son environnement naturel, elle meurt », souligne Mike Owen. « Et les gens le savent. Mais quelqu’un doit offrir beaucoup d’argent pour cette fleur ».
Pour les scientifiques luttant pour sa survie, cette orchidée rare est bien plus que « juste une fleur ».
« Les orchidées sont un indicateur clé des changements environnementaux », affirme Mike Kane. « Comprendre comment elles poussent et comment les réimplanter est une condition essentielle pour préserver la nature ».
AFP