Le canif ou le couteau de chasse est un objet lourd de sens pour certains hommes. Il ne représente pas tant une activité que le père ou le grand-père. « Si j’avais à représenter mon père par un objet, ce serait un canif. C’est un gosseux de bois », raconte entre autres le romancier et scénariste Guillaume Vigneault.
« Comprendre le monde et savoir se servir d’un couteau, ce sont des choses profondément associées à mon père », dit Guillaume Vigneault*, fils de Gilles Vigneault. Aussi loin qu’il se rappelle, le romancier et scénariste a toujours eu des canifs et des couteaux. « Mon père m’en donnait un, dit-il, et s’en achetait un autre, plus gros. »
Le canif est-il un symbole de filiation allant du père – voire du grand-père – au fils ou même au petit-fils ? Quelqu’un, quelque part, a sans doute fait une thèse de doctorat là-dessus. Mais Melyssa Forgues, du magasin Baron Sports situé sur le boulevard Saint-Laurent, n’en doute pas. « Oui, c’est encore une affaire de gars », dit-elle. « Ça se passe de génération en génération quand c’est une bonne marque. »
« Les Buck, qui existent depuis longtemps, se passent dans les familles. Les Victorinox, à peu près tout le monde en a eu un, un jour ou l’autre », ajoute Mme Forgues. Et quand un papa s’achète un nouveau canif, souvent, il fait comme Gilles Vigneault : il offre son ancien à l’un de ses enfants.
« J’ai hérité des couteaux de chasse de mon grand-père avec des manches en bois et des étuis en cuir, raconte d’ailleurs Michel Laliberté, journaliste à Granby. Je les ai encore à la maison. Je ne me promène pas avec ça, par contre. C’est presque des oeuvres d’art pour moi, c’est sacré. Je ne les utiliserais pas. Ce sont vraiment des souvenirs de famille. »
SAUVETAGES QUOTIDIENS
« Mon père avait toujours un petit canif dans ses poches, se rappelle Roger Guay, aujourd’hui septuagénaire. Quand il est décédé, je l’ai récupéré. » Lui n’a jamais eu d’affinité particulière avec cet objet avant de tomber amoureux d’un élégant Laguiole, il y a 20 ans. « Ce sont des objets d’art. Chaque couteau est unique », dit-il au sujet de ces couteaux français, dont il apprécie le raffinement et la simplicité.
Roger Guay ne se sépare presque jamais de son Laguiole. « Quand je n’ai pas mon couteau, je me sens tout nu. Il faut que je le trouve. »
Jusqu’à tout récemment, Guillaume Vigneault avait aussi un couteau sur lui en permanence. « Ça faisait partie de mon arsenal : mes clés, mon cellulaire, mon portefeuille et mon canif. C’était comme ma sacoche pour une fille. Je ne sortais pas sans ça. »
Il possède lui aussi une lame raffinée : un Vendetta Corsa. Sur la lame, ce n’est pas écrit « pour le saucisson », mais plutôt « mort à l’ennemi » (morte al nemico), précise l’écrivain, amusé. Or, il demeure d’abord un amateur du canif suisse Victorinox et de ses multiples outils. « Ça fait partie du fantasme d’être préparé à tout, au même titre que mes câbles à booster et mon compresseur dans mon auto », dit-il.
« Il me servait assez souvent », dit encore Guillaume Vigneault au sujet du canif qu’il traînait dans sa poche. Ne serait-ce que le microtournevis, pour resserrer les branches des lunettes. « Ça fait 15 ou 20 ans que j’en ai toujours un avec moi, dit Michel Laliberté, lui aussi fan des couteaux suisses. Par habitude, mais je l’utilise souvent. » En randonnée et en camping, bien sûr, mais parfois aussi dans la vie de tous les jours, pour de petits dépannages quotidiens.
UNE HABITUDE « RISQUÉE »
Avoir un canif sur soi, c’est peut-être pratique, mais ça peut aussi placer son propriétaire dans des situations délicates. Roger Guay a dû se résoudre à abandonner son tout premier Laguiole à un contrôle de sécurité à l’aéroport. Il avait oublié qu’il l’avait sur lui. Michel Laliberté en a sauvé deux in extremis dans des situations semblables. Il a même déjà fait sonner le détecteur de métal au parlement à Ottawa… « Mon habitude fait que je me retrouve dans ces situations-là malgré moi », dit-il.
Guillaume Vigneault, lui, ne court plus de risque. « J’enregistre toujours un bagage en soute, même si je voyage léger, pour pouvoir apporter mon canif. » Même lorsqu’il va participer à une rencontre d’écrivains ? « Oui, lance-t-il, mais là, c’est plus le tire-bouchon qui sert, par contre ! »
source: http://www.lapresse.ca/vivre/societe/201607/08/01-4999155-des-couteaux-et-des-hommes.php