Les demandes ont plus que doublé en certains endroits
Après un an, l’aide médicale à mourir (AMAM) entre peu à peu dans les moeurs comme soin de fin de vie au Québec : le nombre de demandes s’accroît dans toutes les régions où les plus récentes données sont disponibles. Certaines ont même enregistré deux fois plus de demandes dans la deuxième moitié de 2016 que dans les six premiers mois d’application de la loi.
Le Devoir a compilé les statistiques des 11 établissements publics qui ont publié les données sur les soins de fin de vie de juin à décembre 2016. À eux seuls, ces établissements ont reçu presque autant de demandes pendant cette période que les 33 établissements publics du réseau entre décembre 2015 et juin 2016.
En effet, dans ces 11 établissements, 247 personnes ont fait une demande d’aide médicale à mourir pour la deuxième moitié de l’année, contre 253 entre décembre 2015 et juin 2016 pour tout le réseau de la santé. De ce nombre, 156 AMAM ont été administrées, contre 161 au total dans les six premiers mois de l’entrée en vigueur de la loi.
Les données de plusieurs établissements ne sont toujours pas disponibles, car les conseils d’administration doivent approuver les rapports.
Des tendances
Ces données, quoique partielles, sont révélatrices de certaines tendances.
Parmi les établissements qui ont rendu leurs rapports publics, c’est le CHU de Québec (CHUQ) qui a reçu le plus de demandes, soit 48. Trente AMAM ont été administrées, ce qui représente un peu plus de 4 % du nombre de patients qui ont reçu des soins palliatifs dans cet établissement.
En moyenne, pour les 11 établissements analysés, le nombre d’AMAM administrées représente 1,1 % du nombre de patients recevant des soins palliatifs. La proportion était de 0,6 % entre décembre 2015 et juin 2016.
Le nombre de demandes s’accroît dans tous les établissements où les données sont publiques. C’est particulièrement vrai au CISSS de la Mauricie-Centre-du-Québec, au CIUSSS de l’Est, à Montréal, au CIUSSS de la Capitale-Nationale et au CISSS de Laval, établissements où le nombre de demandes a plus que doublé entre juin et décembre.
Les refus sont aussi plus fréquents. Ce sont 37,6 % des demandes n’ont pas abouti à l’administration de l’AMAM. Ce taux était de 33,7 % entre décembre 2015 et juin 2016.
Pour 11 % des demandes, l’évaluation a conclu que le patient n’était pas admissible selon les critères de la loi.
Pour près de 20 % des demandes, l’état du patient s’est vraisemblablement détérioré avant que sa volonté puisse être respectée, puisque le patient est décédé, est devenu inapte ou a reçu la sédation palliative continue.
Moins de 4 % des patients ont changé d’avis.
Un changement de mentalité
Le Dr Alain Naud n’est pas surpris que de plus en plus de patients demandent l’AMAM. « C’est mieux connu des patients, des familles et des soignants », explique l’omnipraticien qui pratique en soins palliatifs au CHUQ. Le Dr Naud est un des rares médecins à avoir parlé publiquement de sa pratique de l’AMAM. « L’AMAM répond à une demande et à un réel besoin pour les malades en fin de vie », dit-il.
Il croit qu’un changement de mentalité s’opère, graduellement. « Les patients savent un peu plus quels sont leurs droits. Les résistances qu’il y avait dans certains milieux s’amenuisent tranquillement », observe-t-il. Selon lui, ce n’est pas toujours parce que les délais sont indus que certains patients décèdent après leur demande, sans avoir reçu l’AMAM. Il observe que dans quelques cas, on observe des patients qui font la demande et décèdent naturellement le lendemain, comme s’ils étaient apaisés.
Dans les autres pays où l’AMAM a été légalisée, de 2 à 4 % des mourants en font la demande, rappelle-t-il.
Le fait que les cas de demandes non administrées ne soient révisés d’aucune manière est la plus grande faille actuellement, déplore le Dr Naud. « C’est inconcevable qu’on ne se penche pas sur les refus, dit-il. Comment s’assure-t-on que les patients, par exemple, ont retiré leur demande de façon libre et éclairée ? Les médecins qui refusent des demandes n’ont rien à justifier. C’est inadmissible. Il y a eu assez de reportages qui ont démontré que les dérapages ne surviennent pas lors de l’administration de l’AMAM, mais dans les entraves à l’accès à ce soin. »
Un an après l’entrée en vigueur de la loi, sa plus grande satisfaction est de maintenant pouvoir répondre aux désirs des patients qui vivent de grandes souffrances. « La reconnaissance des patients et des familles… Ce sont des moments de grande émotion. J’ai vu des patients décéder en chantant leur chanson favorite. Pour un autre, on avait fait venir un pianiste dans la chambre, il a joué les demandes du mourant. J’ai vu une AMAM où il y avait 20 proches dans la chambre. Des fils qui sont arrivés en complet pour rendre hommage à leur père. La mort reste un moment difficile, mais c’est aussi un moment de grande humanité. »
Révisions nécessaires
Le secrétaire du Collège des médecins du Québec (CMQ), le Dr Yves Robert, croit que le doute levé par l’adoption de la loi fédérale, en juin, a pu contribuer à la hausse des demandes.
« Maintenant, il n’y a plus aucun doute sur la légalité de l’AMAM », explique-t-il.
Tous les cas semblent avoir été faits en conformité avec la loi. La Commission des soins de fin de vie renvoie au CMQ les cas où elle s’interroge. « À première vue, avec les informations disponibles à ce moment-ci, les cas étaient conformes », indique le Dr Robert. Des dossiers sont toujours en cours d’analyse.
Le Dr Robert confirme que l’ordre professionnel révise actuellement son guide d’exercice sur l’aide médicale à mourir à l’intention des soignants. « On tente de concilier la loi fédérale et la loi québécoise, qui est plus restrictive », explique-t-il. Une rencontre avec la ministre de la Justice Stéphanie Vallée doit aussi avoir lieu à ce sujet.