Avec le rachat de Genzyme en 2001, Sanofi s’est installé au coeur de Boston, la capitale mondiale des sciences de la vie. La R&D du groupe se nourrit de cet écosystème bouillonnant, à travers un réseau de partenariats et d’investissements. Visite guidée.
500, Kendall Square. L’adresse de Sanofi dans le Massachusetts vaut de l’or. Dans l’industrie pharmaceutique, » Kendall Square » est devenu synonyme de » sciences de la vie « , au même titre que » Wall Street » désigne la finance. Cette place de Cambridge, à proximité des prestigieuses Universités d’Harvard et du MIT, a donné son nom à un quartier devenu la Mecque de la biologie mondiale. Sur un périmètre d’un kilomètre carré, se concentrent tous les grands noms de la pharmacie, 250 » biotechs » et les fonds d’investissement les plus puissants du secteur. Dans ce qui n’était il y a dix ans encore qu’une zone industrielle mêlant fabriques alimentaires décrépies et terrains vagues, les immeubles ont poussé comme des champignons.
En plein cœur de cet écosystème, installé dans une tour de verre au design futuriste, Sanofi se nourrit de l’incroyable bouillonnement scientifique de la ville. Au point que les connexions établies avec la communauté médicale, scientifique et financière de Boston constituent aujourd’hui l’aliment principal de la R&D du groupe français.
Genzyme, l’acquisition qui change tout
La présence du groupe français aux Etats-Unis est ancienne, avec une usine dans le New Jersey apportée en héritage par Aventis. Mais son ancrage à Cambridge remonte à 2011: en rachetant pour 20 milliards de dollars le laboratoire Genzyme, premier employeur du Massachusetts avec ses 5.000 salariés, Sanofi s’est non seulement donné un moteur de croissance essentiel mais aussi une place de choix à Cambridge. Le laboratoire français profite indirectement de l’aura dont jouit Genzyme – pionnier dans le traitement des maladies rares – auprès de la communauté scientifique.
Une acquisition qui a permis aussi d’accélérer la transformation de l’innovation chez Sanofi. A son arrivée en 2011, Elias Zerhouni, le patron de la recherche, a totalement restructuré la R&D du laboratoire français et l’a convertie au modèle de » l’innovation ouverte » – adopté aujourd’hui par la majorité des grands laboratoires. Une mutation dictée par l’urgence de remplir des tuyaux désespérément vides, à un moment où Sanofi pâtissait de la perte de plusieurs brevets essentiels. Par l’idée, surtout, que l’intelligence collective est infiniment plus puissante que celle d’un acteur industriel, fût-il un leader mondial. Fini le temps où les chercheurs conservent jalousement leurs secrets, place aux alliances et au partage d’idées.
Des partenaires devenus incontournables
Première déclinaison de cette » innovation ouverte « , Sanofi s’appuie sur des partenaires, devenus de gros pourvoyeurs de nouveaux produits. En 2015, deux tiers des nouveaux médicaments de Sanofi provenaient de l’extérieur – une proportion que le groupe souhaite aujourd’hui rééquilibrer en faveur de la recherche » maison « .
Ce modèle de co-développement permet à Sanofi de se lancer dans des champs très novateurs ou très risqués où le laboratoire n’a pas d’expertise. Lancé cette semaine, Dupixent, le premier traitement de la dermatite atopique (une grave maladie de peau), est ainsi né d’une collaboration – signée en 2007 – avec le laboratoire new-yorkais Regeneron. » Ce partenariat nous a projeté dans le domaine des anticorps « , où nous n’avions aucune expertise, souligne Gary Nabel, directeur scientifique de Sanofi. Quand nous travaillons avec des partenaires, ce n’est pas seulement pour prendre le travail des autres « , précise-t-il. Les chercheurs de Sanofi ont ainsi coopéré très en amont (dès les premiers essais cliniques) au développement de Dupixent.
En neurologie, autre secteur étranger à ses compétences, Sanofi a conclu un partenariat avec Voyager Therapeutics. En février 2015, le laboratoire français a injecté 100 millions dans cette petite biotech (70 salariés) bostonienne, fondée par le vétéran des neurosciences Steven Paul. » Je suis devenu entrepreneur à 60 ans « , raconte, rigolard, l’entrepreneur. Sanofi a pris une partie du capital. Surtout, il s’est assuré une option d’investissement exclusive dans trois programmes de thérapies géniques ciblant des maladies neurologiques: Parkinson, maladie de Huntington, ataxie de Friedreich. » J’ai besoin d’argent mais aussi d’expertise industrielle et réglementaire. C’est l’intérêt d’un deal avec un gros laboratoire », souligne Steven Paul. Des options sur des programmes très risqués mais qui pourraient rapporter gros en cas de succès. Voyager Therapeuthics a déjà testé sur une quinzaine de patients son médicament génique contre Parkinson, une maladie touchant 4 millions de personnes dans le monde selon l’Organisation mondiale de la santé.
Sanofi Genzyme BioVentures et Sunrise, les têtes chercheuses
En plus de ces accords classiques avec des biotech, Sanofi s’est doté de deux » têtes chercheuses « . Piloté par Bernard Davitian, Sanofi Genzyme BioVentures fonctionne comme un fonds de capital-risque: l’équipe repère des projets innovants de biotechs, qu’elle finance aux côtés de purs financiers. 30 biotechs ont été ainsi soutenues par Sanofi en 4 ans, dont 9 sont entrées en Bourse. Contrairement aux financiers auxquels il s’associe dans ces aventures entrepreneuriales, le laboratoire poursuit aussi des objectifs extra financiers: ce vivier d’entreprises est susceptible de nourrir l’innovation du groupe et susciter de futurs accords de collaboration.
Deuxième tête chercheuse, le programme » Sunrise » est une fabrique à biotechs: Sanofi investit dès la création d’une entreprise, systématiquement en partenariat avec un fonds de capital-risque. C’est dans ce cadre qu’a été créée en 2012 l’entreprise Warp Drive Bio. Fondée par Laurence Reid, l’entreprise, sise là encore à Cambridge, s’est donné pour ambition de revisiter, avec les instruments de la génétique, une gigantesque bibliothèque de bactéries. L’idée? Lancer de nouveaux antibiotiques – une priorité au moment où la résistance aux antibiotiques devient une menace pour la santé publique mondiale – et des médicaments anticancéreux. » Sanofi possède la moitié du capital mais nous sommes encouragés à construire une entreprise indépendante, explique Ron Weiss. Certaines de nos molécules pourront être développées avec l’appui de Sanofi, d’autres pourront l’être par des laboratoires concurrents « . En novembre 2016, l’intérêt de Sanofi pour les premières découvertes de Warp Drive Bio s’est concrétisé: le laboratoire français va s’occuper des essais cliniques d’un antibiotique découvert par la biotech américaine.
Issue également de la plateforme Sunrise, l’entreprise MyoKardia a été lancée par Christine Seidman, cardiologue au Brigham and Women’s Hospital, avec les capitaux de Sanofi et du fonds Third Rock Ventures. Partant de la découverte de mutations génétiques responsables de maladies cardiaques héréditaires, MyoKardia a identifié – avec l’appui de Sanofi – une molécule chimique capable d’empêcher la dégradation du muscle cardiaque. Un espoir de traitement pour ces maladies cardiaques rares et négligées. Et, à terme, un médicament qui pourrait entrer dans les tuyaux…
Plus en amont, le laboratoire français tisse aussi des liens avec de jeunes chercheurs travaillant à des questions très fondamentales, très éloignées encore des applications cliniques. Médecin-chercheur au Massachusetts General Hospital, l’un des plus prestigieux hôpitaux universitaires américains, Michelle Conroy s’interroge ainsi sur un paradoxe scientifique encore inexploré dans le domaine des allergies. Lauréate du Sanofi Innovation Program – une Bourse à laquelle prétendent une centaine de jeunes chercheurs, la jeune femme a reçu un financement de 100.000 dollars. Une graine de plus dans le terreau de l’innovation.
A ces dispositifs établis (collaborations, fonds, bourses…) s’ajoutent enfin la participation aux débats et aux groupes de réflexion dont regorge Boston. Sanofi participe par exemple au think tank NewDigs, une initiative lancée par le MIT pour faire évoluer les modèles économiques de la pharmacie.
Quid des 5.000 chercheurs français?
De l’autre côté de l’Atlantique, quel rôle jouent les 5.000 chercheurs français de Sanofi – un tiers des 16.000 chercheurs du groupe? » L’expertise des équipes françaises en virologie et en chimie était très importante, rétorque Gary Nabel. Nous l’exploitons aujourd’hui en immunologie (une des aires thérapeutiques prioritaires pour Sanofi, ndrl) « . Sanofi a aussi reconverti une bonne partie de ses équipes scientifiques françaises au » développement » des médicaments, c’est-à-dire au pilotage des essais cliniques. En périphérie? Plus grosse capitalisation boursière de la place de Paris, Sanofi reste financièrement ancré en France. Mais – faut-il le déplorer? – son centre de gravité scientifique s’est à l’évidence déporté à l’ouest…