Des spécialistes se tournent les pouces alors que des gens attendent un appel

Près de 19 000 patients attendent un rendez-vous en ORL au Québec. Pourtant, à l’Hotel-Dieu-d’Arthabaska, dans le Centre-du-Québec, des médecins sont en congé forcé régulièrement, faute de patients, depuis que la prise de rendez-vous dans cette spécialité a été centralisée par région.

« Les patients sont pris en otage dans les régions voisines et ne sont pas dirigés chez nous, alors que nous n’avons aucune attente », s’insurge la Dre Julie Valérie Brousseau. Avant l’implantation du Centre de répartition des demandes de service (CRDS), cette otorhinolaryngologiste de Victoriaville voyait, avec sa collègue, des centaines de patients par semaine. Plusieurs venaient des régions voisines, comme Thetford-Mines ou Lac-Mégantic, où elle se déplaçait également. Aujourd’hui, il lui arrive de finir ses journées à 10 h 30 le matin, bien contre son gré : la salle d’attente est vide.

De 150 à 250 consultations par semaine avant l’implantation du CRDS, son département peine à en remplir plus de 50 actuellement, affirme la Dre Brousseau. Le nombre de chirurgies par mois a aussi drastiquement diminué, malgré la disponibilité du bloc opératoire.

Des milliers de patients attendent

Pourtant, à moins de 80 km de là, des milliers de patients des régions limitrophes attendent pour consulter un ORL. Ils sont 2350 dans Chaudière-Appalaches, près de 1000 en Estrie, et plus de 2000 en Montérégie.

D’ailleurs, des médecins de Chaudière-Appalaches ont dénoncé la gestion « chaotique » des rendez-vous dans leur région. Dans une lettre envoyée au p.-d.g. du CISSS de Chaudière-Appalaches la semaine dernière, 36 médecins du centre hospitalier de Saint-Georges ont dénoncé le système qui échoue à respecter des délais appropriés pour les patients, même pour des cas urgents. « Il est urgent d’apporter des correctifs majeurs », exigent ces médecins dans la lettre obtenue par le journal En Beauce.

« Plutôt que de leur trouver le rendez-vous le plus rapide dans un rayon raisonnable, les patients sont prisonniers de leur code postal, constate la Dre Brousseau. On parle de cancers, d’enfants qui ont des otites à répétition, par exemple. Je dénonce la situation publiquement parce que c’est une question de santé publique. »

Loin d’être un cas isolé

La situation dénoncée par la Dre Brousseau est loin d’être unique, selon l’avocat spécialisé dans la défense des patients Jean-Pierre Ménard, qui reçoit de nombreux appels de médecins et de patients à ce sujet.

« Ce système de centralisation des prises de rendez-vous n’atteint pas ses objectifs. Il ne semble pas favoriser l’accès et limite le droit des patients de choisir leur lieu de soin et leur médecin », constate-t-il. Un droit qui est inscrit dans la loi et dont il avait anticipé la forte possibilité qu’il soit bafoué quand les 182 établissements de santé ont été fusionnés en 34 entités administratives, en 2015.

D’ailleurs, la Dre Brousseau remarque que les médecins de famille rencontrent de la résistance lorsqu’ils tentent de confier un de leur patient à un spécialiste hors territoire par le CRDS.

Pour Me Ménard, il faut sonner l’alarme. « Le droit des patients de choisir est remis en cause par des pratiques administratives qui ne sont ni légales ni liées aux ressources disponibles. Les gens sont captifs. »

Cherchant où étaient soudainement passés tous ses patients, la Dre Brousseau a pris l’initiative personnelle d’enquêter. Ce n’est qu’au bout de plusieurs semaines qu’elle a finalement compris ce qui se passait.

Le cas particulièrement troublant d’un patient atteint de cancer l’a grandement secouée et l’a amenée à dénoncer la situation. Un patient du territoire voisin qu’elle avait déjà vu par le passé. « J’ai dû lui enlever une tumeur importante et il restera avec une immense cicatrice à cause d’une requête prise dans un CRDS adjacent ». La tumeur avait beaucoup grossi avant que le patient ne se rende compte que sa requête ne s’était jamais rendue à l’Hôtel-Dieu de Victoriaville.

La Dre Brousseau a posé beaucoup de questions, à beaucoup de monde dans son CISSS. Elle a insisté, tenté d’enfoncer des portes closes, a-t-elle raconté au Devoir. Elle n’a pas accepté « c’est impossible » comme réponse quand elle demandait aux administrateurs qu’une solution soit mise en place. « Tout le monde me répondait qu’il n’y avait rien à faire ! »

La semaine dernière, on l’a démise de ses fonctions de chef de département.

Qu’à cela ne tienne, elle écrira aux médecins de famille pour leur indiquer qu’ils peuvent transmettre leurs cas à son établissement et utilisera même un site Web sécurisé pour permettre aux patients d’envoyer leurs demandes de consultation eux-mêmes.

Tant le ministère de la Santé et des Services sociaux que le CISSS de la Mauricie-Centre-du-Québec affirment de leur côté que les régions se « parlent » pour éviter une attente indue aux patients. « C’est quelque chose qui se fait déjà et qui sera développé davantage prochainement », assure Marie-Claude Lacasse, au MSSS.

Selon le MSSS, 70 % des rendez-vous en ORL sont accordés dans les délais prescrits. Le CRDS, même s’il demande une « période d’adaptation », a permis d’accorder 22 000 rendez-vous dans cette spécialité depuis octobre, ajoute Mme Lacasse.

« Nous avons avisé les régions voisines des disponibilités en ORL et dans d’autres spécialités, a indiqué au Devoir Guillaume Cliche, qui est responsable des communications pour le CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec. Il y a des processus à mettre en place dans les autres régions aussi pour contacter les patients et vérifier si cela les intéresse de se déplacer chez nous. »

Publisher: Lebanese Company for Information & Studies
Editeur : Société Libanaise d'Information et d’Etudes
Rédacteur en chef : Hassan Moukalled


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