Les médecins canadiens sont fortement encouragés à prescrire moins d’analgésiques opioïdes pour traiter la douleur. Le Journal de l’Association médicale canadienne (JAMC) publie aujourd’hui de nouvelles lignes directrices axées sur la prévention des dépendances, des effets secondaires nuisibles et des risques de décès par surdose associés à ces médicaments.
Le groupe d’experts recommande d’abord et avant tout de « maximiser » les traitements non opioïdes avant de passer à ces molécules, que ces traitements soient pharmacologiques ou non, comme la physiothérapie. Ces recommandations s’appliquent notamment aux patients qui souffrent de douleur chronique, et non pas à ceux atteints d’un cancer.
On suggère aussi fortement aux médecins de limiter la dose quotidienne prescrite, lorsqu’un recours aux opioïdes est inévitable. « Idéalement », la dose devrait être inférieure à l’équivalent de 50 mg de morphine. Cela équivaut à 334 mg de codéine, 10 mg d’hydromorphone ou 33 mg d’oxycodone, et même aux timbres transdermiques les moins puissants de Fentanyl. Dans certains cas, une dose maximale de 90 mg équivalent morphine pourrait être justifiée.
Il s’agit d’une mise à jour de recommandations publiées en 2010, lesquelles conseillaient l’usage de 200 mg ou moins par jour. Les lignes directrices actuelles du Collège des médecins du Québec utilisent également le plafond de 200 mg par jour avant de remettre en question « l’utilité » des opioïdes chez un patient donné.
Les nouvelles lignes directrices recommandent également de diminuer les doses des patients dont la consommation quotidienne dépasse actuellement 90 mg par jour.
En outre, la prescription d’opioïdes à des patients qui ont déjà souffert d’un problème de dépendance à la drogue ou à l’alcool est fortement découragée. Il en est de même pour les patients qui souffrent d’un trouble psychiatrique.
Les experts canadiens emboîtent ainsi le pas aux Centers for Disease Control (CDC) américains qui, en 2016, ont fait des recommandations semblables.
Le Collège des médecins du Québec, qui travaille actuellement à une révision de ses propres lignes directrices en la matière, publiées en 2009, n’a pas voulu commenter l’initiative canadienne. Aucun expert québécois ne figure parmi les auteurs des lignes directrices publiées aujourd’hui en anglais dans le JAMC.
Entre 15 et 19 % des Canadiens souffriraient de douleurs chroniques. Selon une étude parue dans la revue PLOS One en 2016, 40 % des utilisateurs d’opioïdes prescrits pour des douleurs non reliées au cancer consomment plus de 200 mg par jour. On constate même que 19 % excèdent 200 mg par jour.
Piètre accès aux solutions non pharmacologiques
La directrice de la Clinique de la douleur du CHUM, la Dre Aline Boulanger, reproche une certaine « rigidité » à ces recommandations, bien qu’elle approuve la nécessité d’une révision. Elle avait d’ailleurs envoyé ses commentaires aux experts lorsqu’ils ont procédé à une consultation, en janvier dernier.
Si l’on s’en tient rigoureusement aux lignes directrices, « ça limite la possibilité de traiter la douleur de certains patients », estime la Dre Boulanger.
Par exemple, chez des patients avec des antécédents de dépendance ou même des problèmes de santé mentale, elle croit qu’il peut arriver que les opioïdes doivent être envisagés. « La douleur peut être à ce point sévère que c’est notre seule option. Il est légitime d’être soulagé. Il faut alors offrir un encadrement encore plus rigoureux », explique-t-elle.
Le travail scientifique derrière les recommandations lui apparaît tout de même très rigoureux. Elle participe actuellement à la révision du guide du Collège des médecins du Québec, tout comme elle avait été partie prenante de la première version en 2009. « Les médecins québécois vont lire ces lignes directrices avec intérêt, mais comme la pratique ici est encadrée par le collège, je crois que ce dernier guide aura un plus grand impact », mentionne-t-elle.
Le Dr David Lussier, pour sa part, expérimente déjà la décroissance des dosages avec ses patients âgés. Le directeur de la clinique de gestion de la douleur chronique à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal est agréablement surpris des résultats. « Au début, je craignais que ce soit trop strict si on calquait de trop près les recommandations américaines, raconte-t-il. Puis j’ai commencé à m’accorder à ces recommandations et, chez la majorité des patients, on arrive à diminuer les doses en y allant graduellement sur plusieurs mois. »
Il aurait toutefois aimé que les experts aillent plus loin en recommandant au gouvernement d’investir pour améliorer l’accès aux traitements non pharmacologiques. « La psychothérapie, la physiothérapie, même la méditation, on sait que c’est efficace et que ça diminue le besoin en médicament, mais nous n’y avons pas accès ! »
De plus, lorsque les patients n’arrivent pas à obtenir un diagnostic ou un soulagement auprès de la première ligne de soins, ils se retrouvent à attendre jusqu’à trois ans avant d’être vus dans une des cliniques de la douleur du Québec.