Manque de réactivité, information uniquement destinée aux professionnels de santé, évaluation trop rapide d’un produit sensible : l’affaire du Levothyrox illustre les dysfonctionnements de l’agence du médicament.
» Un couteau sans lame auquel manque le manche « . C’est la comparaison employée par le docteur Philippe Even pour juger de l’efficacité de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Une agence du médicament inutile, incapable de prévenir les crises sanitaires comme le montre une nouvelle fois l’affaire du Levothyrox.
Ce médicament, qui traite 3 millions de personnes souffrant de problèmes de tyroïde, est commercialisé en France depuis 1988 par le laboratoire allemand Merck, qui détient le monopole du traitement. Mise en service en mars 2017, une nouvelle formulation du médicament est très mal supportée par des milliers de patients, victime d’effets secondaires insupportables. Plusieurs pétitions ont été lancées en ligne, dont l’un, qui réclame le retour à l’ancienne formule, dépasse les 220.000 signatures. Rejoignant le mouvement, l’actrice Annie Duperrey s’est adressée à la Ministre de la santé, Agnès Buzyn, pour exprimer sa colère » d’être contrainte d’ingurgiter un produit qui (lui) fait à présent plus de mal que de bien « . Et l’affaire a pris une ampleur nouvelle cette semaine avec le dépôt d’une plainte au pénal d’une patiente pour » mise en danger de la vie d’autrui « . Une crise qui révèle, après celle de la Dépakine ou de l’Uvestérol D, une série de carences graves au sein de l’ANSM.
Une réactivité d’escargot
Premier dysfonctionnement, notre agence du médicament fait preuve d’une réactivité d’escargot. » On a un système d’alerte qui ne fonctionne pas « , résume la députée européenne Michèle Rivasi. » Il faut trois mois pour prendre en compte la souffrance des gens « . L’ANSM a été informée d’un problème sérieux dès le mois de mai par Nell Gaudry, la présidente de l’Association des malades de la tyroïde. Recevant des centaines de mails et de courrier, elle avait prévenu la Ministre de la Santé et le directeur de l’ANSM, Dominique Martin. Mais c’est seulement au mois d’août – alors que la crise faisait les gros titres des journaux – pour que l’agence du médicament a mis en place un numéro vert. Comme si seule la médiatisation pouvait la tirer de sa torpeur.
Ces dysfonctionnements de la pharmacovigilance ne sont pas nouveaux : ils ont été pointés à la fois par la Cour des comptes et par l’Igas dans les rapports consacrés à l’ANSM.
Les patients, derniers informés
Deuxième carence, la communication sur le changement de formule – et les risques qu’il pouvait entraîner – a été trop légère. Certes, l’ASNM a fait parvenir 100.000 lettres pour prévenir les professionnels de santé – médecins et pharmaciens. Mais ce courrier, purement informatif, ne les incitait pas à être attentifs à des potentiels indésirables. Quant aux patients eux-mêmes, ils n’ont jamais été informés, lorsque le nouveau médicament a été mis à leur disposition, que la nouvelle formule était susceptible d’entraîner des effets indésirables. Une défaillance reconnue, en creux, par la Ministre de la Santé elle-même. « C’est une crise liée à un défaut d’information et à un défaut d’accompagnement, qu’il faut entendre », a-t-elle estimé. Elle a annoncé mercredi le lancement d’une mission « pour mieux informer les patients ».
Un problème d’évaluation
La troisième carence tient à l’évaluation du médicament lui-même. Sachant que les traitements à base d’hormone sont extrêmement délicats à doser, l’agence aurait dû tester le médicament, pointe Michèle Rivasi. Au lieu de réaliser un véritable essai clinique, elle s’est contentée d’un simple essai de » bioéquivalence » – sur des sujets sains. S’agissant d’un traitement donné à 3 millions de patients, vital pour nombre d’entre eux, la méthodologie pose un vrai problème. Et ce d’autant plus que le changement de formule a été fait à la demande de l’ANSM, qui souhaitait » garantir une nouvelle stabilité » et non du laboratoire lui-même. Les malades, par le biais de l’Association française des malades de la tyroïde (AFMT), réclament une expertise de la nouvelle formulation.