Le Conseil scientifique de l’Académie géopolitique de Paris a organisé un colloque international sur le sujet « Quelles nouvelles stratégies pour le Moyen-Orient ? » le vendredi 18 Mars 2022. Ce colloque entreprend de passer en revue l’ensemble des thématiques stratégiques et géopolitiques émergentes dans la région depuis la récente évolution tactique américaine. La récurrence des rapports de force entre puissances régionales, l’instrumentalisation des facteurs identitaires, conflits religieux et ethniques, la question des hydrocarbures, l’interaction des ingérences des grandes puissances avec les thématiques spécifiques du nucléaire, du conflit israélo-palestinien, de celui interminable au Yémen, et des budgets de surarmement des États de la région se croiseront avec des analyses ciblées par zones et pays. L’évolution des stratégies de l’Iran, l’Arabie Séoudite, la Syrie, le Liban, le Bahreïn, le Qatar, le Yémen, les Émirats Arabes unis, Israël, etc., devra être étudiée par le prisme de la situation conflictuelle depuis quarante ans. Les Occidentaux maintiennent une présence par leur capacité de répondre aux demandes logistiques principalement de l’Arabie Séoudite et alimentent les jeux de pouvoir dans la région mais de nouveaux acteurs investissent le champ de moins en moins la chasse gardée occidentale.
Fidèle à sa mission d’élucidation des sujets géopolitiques complexes, l’Académie géopolitique de Paris souhaite que les communications de ce colloque approfondissent l’analyse des leçons à tirer des derniers évènements, constituant le fond des développements consacrés à l’étude de la réorganisation actuelle et la projection des perspectives prévisibles à venir, notamment sur la fiabilité et la pérennité du soutien américain en particulier et occidental en général à destination des alliances régionales et des dispositifs stratégiques. Les allégeances traditionnelles pourraient connaître des évolutions provoquant des remises en cause en profondeur dont la nature et l’orientation des conséquences et la signification est difficile à évaluer dans les sens d’une réorganisation plus équilibrée de l’espace régional ou au contraire vers la perspective d’un chaos incontrôlé.
Vision Générale
« Vers une politique de dialogue et de développement », par Ali RASTBEEN
« Perspectives Moyen-Orient 2022, entre chaos et recomposition », par S.E.M. Denis Bouchard
« Moyen – Orient : nouvel ordre régional ou recomposition géopolitique conjoncturelle », par Jure Georges Vujic
« L’impact du conflit Est- Ouest sur la situation au Proche et Moyen Orient », par S.E.M. Eugène Berg
« Les effets structurels de l’entrée chinoise et russe au Moyen-Orient », par Dr. Hassan Moukalled
Déclinaisons régionales
« Esquisse d’un bilan stratégique pour la région du Moyen-Orient en général et du Golfe en particulier », par David RIGOULET-ROZE
« Pas de paix au Moyen-Orient sans le retour à un monde multipolaire civilisé, régi par le Droit », par S.E.M. Michel RAIMBAUD
« Émirats arabes unis, politique étrangère offensive au Moyen-Orient. Raisons et conséquences », par Fayçal JALLOUL
Vers une politique de dialogue et de développement
Ali RASTBEEN
Président de l’Académie de Géopolitique de Paris
Les territoires du Proche et du Moyen-Orient, sont les plus disposés à connaître des crises. Quelle en est la cause ? On peut classer ces pays selon différents critères : ethnique, religieux, national. La difficulté de la question nationale dans ces pays réside dans le fait qu’ils sont issus des vestiges de l’empire islamique désintégré depuis des années. Or, l’intégration de la langue arabe et de l’Islam les a séparés de leur histoire pré-islamique, les dotant d’une identité « arabe » avec une structure tribale.
Au troisième millénaire, le monde a atteint un niveau où les principes de la civilisation s’expriment grâce à leur rôle créatif dans le destin de l’homme. L’existence de la religion dans toutes les sociétés humaines est reconnue comme une nécessité. La présence de la religion, si elle reste modérée, confère à l’individu une conception du monde et une connaissance collective tout en modelant ses attitudes individuelles et sociales.
Éteindre l’incendie en Palestine et mettre un terme à cet odieux aventurisme dans l’histoire contemporaine, pourrait être le préalable à la mise en œuvre d’une entente régionale pour lutter sérieusement contre l’«intégrisme» et la propagande du « sectarisme », religieux ou ethnique, des États de cette région.
Cette politique pourrait également représenter la prise de conscience par les populations régionales, par leurs dirigeants et par les personnalités sociales, scientifiques et politiques de la nécessité d’instaurer une entente régionale durable pour défendre la sécurité, la paix et la coopération commune, essentielle à « la région sécurisée du Moyen-Orient », où la présence des forces militaires étrangères serait bannie aussi bien sur terre que sur mer.
De même le Moyen-Orient est en proie à de nombreuses difficultés tels que le terrorisme, l’extrémisme, le trafic des stupéfiants, l’arriération économique et politique, les tensions ethniques, frontalières, religieuses, les difficultés environnementales et les conflits politiques qui défient la stabilité et la sécurité de cette région et du globe.
Pour relever ces défis, une coopération collective grandissante et une utilisation convenable des capacités et des ressources de cette région sont plus qu’indispensables. La particularité de la présence de ces richesses dans cette région, l’a transformé en un des foyers internationaux de rivalités entre les grandes puissances. Les intérêts communs, les menaces et les inquiétudes communes, les valeurs culturelles communes, les Antécédents historiques et la position géographique, ont conduit à l’établissement des rapports géopolitiques entre les pays de cette région, et probablement à des coopérations futures.
Les politiques d’encouragement aux convergences régionales et l’utilisation des outils diplomatiques constructifs peuvent empêcher la dépendance des pays de petite dimension à l’égard des grandes puissances et diminuer les rivalités entre les différents acteurs dans cette région.
Perspectives Moyen-Orient 2022, entre chaos et recomposition
Son Excellence Denis Bouchard
Son Excellence Monsieur Denis Bouchard a été acteur, témoin ou observateur engagé pendant plus de 50 ans dans les affaires du Moyen-Orient. Il a été en poste à Beyrouth en 1966, en Jordanie entre 1989 et 1993, puis directeur au Quai d’Orsay ensuite Président de l’Institut du monde arabe et conseiller à l’Ifri. Il est l’auteur de nombreux ouvrages ou articles sur le Moyen- Orient.
Si le Moyen-Orient n’est plus pour l’instant au cœur de l‘actualité, il n’en demeure pas moins une région chaotique qui représente une menace notamment pour l’Europe dont il est proche.
Ce chaos se manifeste tout d’abord par la multiplication des Etats faillis. La Syrie, le Liban, la Libye, l’Irak, le Yémen sont des pays qui en ont toutes les caractéristiques : impuissance de ces Etats qui au mieux ne contrôlent qu’une partie de leur territoire, concurrence de milices qui contestent la puissance publique, économie sinistrée etc…Par ailleurs la menace djihadiste reste forte malgré la perte de l’assise territoriale de l’Etat islamique et la relative discrétion d’Al-Qaïda. La région est également marquée par des affrontements armés récurrents, notamment par une guerre de l’ombre qui devient de plus en plus ouverte entre Israël et l’Iran, et, d’une façon plus générale entre un axe sunnite pro-occidental et un « axe de la résistance » mené par l’Iran, la Syrie, le Yémen appuyés par la Russie.
Cependant des éléments d’espoir apparaissent. Des germes de démocratie sont apparus à travers les printemps arabes et les hiraks. Malgré leur échec, ces mouvements manifestent l’aspiration des peuples de la région à la liberté et à une meilleure gouvernance. Des sociétés civiles plus éduquées, plus urbanisées, mieux organisées, davantage informées apparaissent. A l’exception des pays faillis, la zone a connu dans les dernières années un développement certain et les pays pétroliers se sont dotés d’une véritable puissance financière. On peut craindre cependant que les effets induits de la guerre en Ukraine, à commencer par la hausse des prix du blé ou du pétrole, n’aient des effets déstabilisants sur plusieurs pays, notamment l’Egypte, le Liban, la Tunisie, et le Maroc.
Cette situation chaotique s’explique tout d’abord par la malgouvernance qui, à quelques exceptions près, a sévi dans cette région comme l’ont constaté plusieurs rapports du PNUD dans les années 2000. La montée en puissance du salafisme et de l’islam politique et de leurs perversions ont joué dans le même sens. S’y ajoutent les effets pervers des révolutions manquées qui ont affaibli les structures étatiques et administratives, affecté les économies et créé un vide politique dans lequel se sont engouffrés les mouvements djihadistes. La volonté de la République islamique d’Iran d’exporter sa révolution et d’étendre son influence, a eu également un effet déstabilisateur. Enfin, l’affirmation de puissances régionales qui ont développé des politiques parfois aventuristes, comme la Turquie, l’Arabie saoudite voire Israël, ont contribué au chaos actuel.
On assiste à un véritable basculement géopolitique. Les Etats-Unis portent une grande responsabilité dans la montée en puissance de l’influence de l’Iran à travers le Moyen-Orient arabe. Ils lui ont fait un double cadeau en le débarrassant de la menace majeure que représentait Saddam Hussein et en mettant en place un gouvernement à majorité chiite à Bagdad. En outre, alors que l’influence et la crédibilité des Etats-Unis et même de l’Europe déclinaient, on a assisté à une irruption de la Russie non seulement dans les pays avec lesquels une forte coopération existait du temps de l’URSS, mais aussi en Iran, en Arabie saoudite et en Israël, ce qui explique la complaisance de ces pays face à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. De son côté, la Chine pose ses pions, élargit sa présence économique et, depuis l’arrivée de Xi Jinping, entend développer également une influence politique.
Ainsi le Moyen-Orient risque de rester une région d’affrontements guerriers et de troubles dans les années qui viennent, notamment si la question du nucléaire iranien n’est pas convenablement réglé.
Moyen – Orient : nouvel ordre régional ou recomposition géopolitique conjoncturelle
Jure Georges Vujic
Écrivain franco-croate, et géopoliticien, directeur de l’Institut de géopolitique et de recherches stratégiques de Zagreb, il contribue à la revue géostratégique de l’Académie de géopolitique de Paris, et il est l’auteur de plusieurs ouvrages dans le domaine de la géopolitique et de la politologie en langue française et croate.
Depuis le désengagement et le retrait progressif des troupes américaines de la région, notamment d’Afghanistan, le repositionnement géostratégique russe et l’influence grandissante chinoise dans la région, ainsi que le jeu asymétrique des puissances régionales semblerait combler ce vide de pouvoir et annoncer une nouvelle redistribution des cartes géopolitiques dans cette région. D’autre part, le processus de normalisation entre la Turquie et les Émirats Arabes Unis, l’Arabie Saoudite et l’Égypte, avec parallèlement la normalisation entre les pays du Golfe et l’Iran, semble dessiner les contours d’un ordre normalisateur et pragmatique pour le Moyen-Orient.
Pourtant, les nombreux facteurs déstabilisateurs et les menaces qui n’ont pas disparues avec l’insistance nucléaire de l’Iran, l’instabilité dans des régions comme la Syrie, la Libye, le Liban et l’escalade militaire au Yémen continueront de peser sur la stabilité régionale. Celle-ci sont révélatrices de nouvelles dynamiques régionales avec des rivalités entre acteurs régionaux comme la Turquie et l’Iran, qui voient dans dans cette situation de recomposition géopolitique de nombreuses opportunités géoéconomiques et géopolitiques.
En dépit du tropisme occidental qui tend à voir le Moyen-Orient comme ensemble régional instable figée dans le temps voué a un cycle perpétuel de conflits et d’apaisement, la question est de savoir si la nouvelle dynamique régionale de partenariats croisées, d’alliances et de compromis had hoc entre les divers acteurs régionaux et l’influence de nouvelles puissances extérieures telles que la Russie et la Chine, constituent t-elle un signe précurseur d’une nouvelle recomposition d’un ordre moyen-oriental stable et équilibré à long terme, ou bien s’agit-il tout simplement d’un interregnum de recomposition conjoncturel ?
L’impact du conflit Est-Ouest sur la situation au Proche et Moyen Orient
Son Excellence Monsieur Eugène Berg
Ancien ambassadeur, essayiste et enseignant
Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à l’époque actuelle, le heurt des intérêts entre Washington et Moscou, a grandement influencé la situation dans cette zone géopolitique clef, à la jointure de plusieurs mondes. Quels enseignements peut-on en tirer pour analyser la situation actuelle de la région ?
En premier lieu, durant des décennies le pacte de Quincy a été lé véritable boussole américaine dans la région .Comme l’a écrit le correspondant du New York Times au Caire « les immenses réserves pétrolières de l’Arabie saoudite rendent ce pays plus important pour la diplomatie américaine que n’importe quel autre petit pays ». Même si on sait qu’aujourd’hui les États-Unis ne dépendent plus du brut, moyen-oriental, du fait de la guerre en Ukraine seule l’Arabie Saoudite serait en mesure de se substituer partiellement aux exportations du pétrole russe et le Qatar au gaz russe.
C’est au centre de l’Ancien Monde, au Proche -Orient, « le cœur dangereux du monde » pour Fernand Braudel, que se produisit une déflagration géopolitique, dont les échos se répandent toujours. On sait que c’est finalement le 4 octobre, le président Truman fait une déclaration favorable à un partage de la Palestine et cette décision fait pencher la balance. Si Israël a su sauvegarder ses liens quasi exclusifs, il a forgé ces deux dernières décennies une relation de proximité avec la Russie de Poutine.
Par la suite, le conflit Est – Ouest a scandé la série des conflits :Suez, Guerre des Six Jours, Guerre d’octobre, Guerres du Golfe ( 1990 – 2003)
Les forces franco-britanniques étaient restées sur le terrain moins de 48 heures ! » Washington perçut la crise de Suez sous le seul angle du droit et de la morale et non d’un point de vue géopolitique, juge Henry Kissinger, non sans sévérité -les États -Unis refusèrent de voir qu’une victoire sans condition de Nasser représentait aussi la victoire d’une ligne extrémiste favorisée par les armes soviétiques et alimentée par les menaces de l’autre superpuissance ».[1] Anouar el -Sadate, résuma la situation, le 19 novembre : « Il y a seulement deux grandes puissances dans le monde aujourd’hui, les États -Unis et l’Union soviétique »
Le conflit se déroula du 5 au 11 juin 1967, affaire qui se solda par un grave échec pour l’URSS, ses alliés arabes, armés par elle, ayant subi une sévère défaite.
Dans une note adressée à Richard. Nixon, Leonid. Brejnev le presse d’accepter la proposition égyptienne sinon l’URSS, elle, l’accepterait de manière unilatérale. Croyant une action soviétique imminente, les États-Unis répondirent immédiatement en mettant en état d’alerte au niveau trois l’ensemble de leurs forces aux premières heures du 25 octobre. Provoquant aux dires de Nixon la plus grave crise Est-Ouest depuis celle de Cuba en 1962. L’URSS se rangea aux vues américaines et accepta finalement les termes d’une nouvelle résolution 340. Celle-ci exigea un cessez-le-feu immédiat et complet et demanda que les parties reviennent sur leurs positions du 22 octobre. Créa une force d’urgence des Nations-Unies composée de personnel provenant d’États autres que les membres permanents du Conseil de Sécurité. Prièrent enfin les États membres à coopérer à l’application des précédentes résolutions 338 et 339.
Il devint clair en 1990 qu’aucune guerre classique contre les États -Unis ne pouvait être gagnée, en tout cas depuis la fin du conflit Est- Ouest. Les États -Unis ont montré qu’ils ont été capables de développer des systèmes d’armes qui lui conféraient un avantage militaire définitif.[2] Une affirmation qui s’est avérée exacte pendant quelques décennies ; mais ne pouvait être tenue exacte de façon intemporelle
En contrepartie, la révolution iranienne, grave revers pour Washington, s’est réverbérée jusqu’à nos jours, au point que c’est dans l’ombre de la guerre ukrainienne qu’un nouvel accord sur la dénucléarisation est sur le point d’aboutir.
Ainsi au cours du dernier trois quarts de siècle le duo russo-américain a grandement influencé la situation régionale, comme il en a été impacté.
[1] DIPLOMATIE, Fayard, 1994, 1996, p. 489.
[2] Le dernier Empire, Grasset, 1996, p.190 – 191.
Les effets structurels de l’entrée chinoise et russe au Moyen-Orient
Dr. Hassan Moukalled
Rédacteur en chef du journal économique Al Imar wa Al Iktisad
L’impact de l’entrée économique russe et chinoise au Moyen-Orient varie selon les pays et leurs différents régimes, mais il affecte effectivement le niveau d’exposition économique au monde occidental, précisément en créant une approche contradictoire de ce qui prévalait historiquement à travers l’establishment d’une structure de production nationale-locale qui laissera ses effets sur la dépendance politique et économique ainsi que sur les composantes sociales et leurs rôles. Peut-on le permettre, ou cette entrée vaciller, ou ses objectifs modifiés ?
Esquisse d’un bilan stratégique pour la région du Moyen-Orient en général et du Golfe en particulier (20 ans après le 11 septembre 2001 et l’invasion anglo-saxonne de l’Irak de mars 2003)
David RIGOULET-ROZE
Enseignant et chercheur, rédacteur en chef de la revue Orients Stratégiques
Plus de vingt ans après le tournant majeur constitué par les attentats du 11 septembre 2001 et l’un de ses dégâts géopolitiques collatéraux au Moyen-Orient avec la « guerre de choix » de Georges W. Bush contre l’Irak et le renversement du dictateur baathiste Saddam Hussein en mai 2003, les conséquences stratégiques de cette onde de choc se font encore sentir dans toute la région. Cette région stratégique s’il en est de par les réserves d’« Or noir » qu’elle recèle, et plongée, sans doute en partie pour cette raison, dans les affres de multiples conflits et guerres depuis le début du siècle dernier, est-elle pour autant condamnée au fatum d’une instabilité belligène quasi-structurelle au sein de laquelle toute idée irénique relèverait d’un exercice proscrit par les tropismes internes délétères inhérents à la fitna et/ou les ingérences extérieures intéressées, notamment occidentales ?
Si le pire n’est jamais sûr, le risque demeure d’un dérapage accidentel aux conséquences systémiques pour l’heure incalculables. Paradoxalement, il existe tout de même quelques éléments « iréniques ». Deux pays pourraient en tout cas se présenter comme des « inhibiteurs » de conflictualité par la situation singulière qu’ils occupent aujourd’hui sur l’échiquier régional. Il s’agit d’une part de l’Irak post-Saddam, c’est-à-dire d’un Irak qui demeure arabe mais qui a renoué avec sa culture chiite après la chute de Saddam Hussein en 2003 et qui s’est vu imposer deux « protecteurs » simultanés, qui se trouvent être par ailleurs des adversaires déclarés, en l’occurrence les Etats-Unis qui y conservent une présence résiduelle, et l’Iran dont les liens confessionnels avec Bagdad n’ont plus besoin d’être démontrés. Il s’agit d’autre part, du Qatar qui héberge le CENTCOM américain mais qui entretient par ailleurs par intérêt bien compris des relations non-conflictuelles avec l’Iran puisque les deux Etats partagent le plus grand champ gazier du monde (North Dôme du côté qatari et South Pars du côté iranien).
Pour des raisons qui ne sont pas identiques, mais en sachant qu’une même cause produit peu ou prou les mêmes effets, l’Irak et le Qatar sont susceptibles de favoriser une logique plus irénique en servant d’« inhibiteurs » de conflictualité et en relativisant une logique binaire de blocs qui opposerait irrémédiablement un bloc « arabo-sunnite » (« arc sunnite ») à un bloc « persano-chiite » (« croissant chiite »). De fait, le renversement de Saddam Hussein en mai 2003 a constitué, par-delà le chaos géopolitique qui en fut la conséquence immédiate, un tournant aux conséquences peut-être sous-estimées en faisant dialectiquement passer d’une logique binaire à une logique ternaire qui n’est pas nécessairement synonyme de davantage d’instabilité dès lors que l’on garde à l’esprit que, mythologiquement autant que physiquement parlant, le trépied est une structure potentiellement susceptible d’assurer une stabilité accrue par l’équilibre contraint qu’elle instaure.
Pas de paix au Moyen-Orient sans le retour à un monde multipolaire civilisé, régi par le Droit : contestée, l’hégémonie occidentale est-elle soluble dans le nouvel ordre en gestation ?
Son Excellence Monsieur Michel RAIMBAUD
ancien ambassadeur de France ancien Directeur de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides. Conférencier, Directeur de séminaire, Il est l’auteur de nombreux ouvrages ou articles sur le Moyen- Orient Tempête sur le grand Moyen-Orient. Entre l’Empire atlantique et l’Eurasie, le monde arabo-musulman et son dernière livre s’intitule Les guerres de Syrie
Emmanuel Macron le constatait en 2019 : l’hégémonie occidentale pluriséculaire est contestée par des puissances émergentes (Russie, Chine, Inde, etc…) qui ébranlent l’ordre unipolaire imposé à la mort de l’URSS, en 1991.
Après quinze ans de sidération, la remise en cause est devenue une confrontation violente entre les empires de la mer (le bloc atlantique) et le bloc eurasien (la Russie-Sibérie, « Pivot » du monde, la Chine, puissance du Rimland et désormais l’Iran). Disputé entre les deux blocs et assailli par l’Occident allié aux islamistes, le « Moyen-Orient élargi » a une importance stratégique déterminante. D’où une liaison étroite entre la paix au Moyen-Orient, le droit international et l’ordre du monde, actuel ou en gestation
Dans un contexte de saccage du droit, la résignation de la Russie et de la Chine a fait place à une colère croissante face à l’arrogance et l’arbitraire occidental. Yougoslavie et Kossovo (1999), l’invasion de l’Irak (2003), la guerre de Libye (2011), la guerre de Syrie (2011 et à partir de 2015) ont ponctué cette escalade, avant de déboucher sur la guerre actuelle en Ukraine.
Pour la Grande Catherine, la Syrie détenait « les clés de la maison Russie ». Pour Poutine, la Syrie, invaincue après onze ans de guerre, est « la clé de l’avenir ». « Le conflit de Syrie est le conflit central du siècle ». Il sera difficile à régler « sauf à changer la règle du jeu régional et mondial ». Il « inspirera le règlement des autres conflits ». Y compris la guerre d’Ukraine ?
Si celle-ci, ouverte en 2014 par une « révolution de couleur », a des points communs avec la guerre de Syrie, c’est au niveau, par exemple, du récit, de l’hystérie… Pour la réalité, c’est à fronts renversés. L’OTAN se dit agressé par la Russie qui se dit elle-même agressée. Poutine avait sonné l’alerte et des « sommités » occidentales aussi, depuis…1997 : « Pas d’avancée de l’OTAN vers l’Est ou ce sera la guerre ». Tous, ils l’avaient bien dit.
Émirats arabes unis, politique étrangère offensive au Moyen-Orient. Raisons et conséquences
Fayçal JALLOUL
Ecrivain et journaliste spécialiste du Moyen Orient
Il y a cinquante ans, les sept Émirats arabes gui formeront un état en 1971 n’étaient pas pressés d’obtenir leur indépendance de la Grande-Bretagne. Ils avait peur des pays voisins .. Sultanat d’Oman, qui les considère historiquement comme territoires omanaises, du Royaume d’Arabie saoudite, fondé sur l’annexion et l’expansion dans son environnement, et l’Iran monarchique, puissance régionale redoutable.
Les craintes des Émirats arabes unis se sont réalisées deux jours avant l’indépendance »30 Novembre 1971 ), alors que les forces de l’armée iranienne occupaient les trois îles émiraties, Tunb al-Kubra, Tunb al-Sughra et Abu Musa. Le Shah a déclaré à l’époque que ces îles étaient une propriété iranienne avec l’approbation britannique. Il a également indiqué que l’île d’Abu Musa est soumise à un accord avec son propriétaire, l’émir de Sharjah, Khalid Al Qasimi, qui a reçu des sommes d’argent pour une période de neuf ans.
Comment les Émirats arabes unis sont-ils passés d’un pays entouré par la cupidité de ses voisins à un pays qui mène une politique étrangère offensive. Il y a plusieurs raisons à cette transition
1. Forger des alliances avec les principales puissances régionales de la région, notamment l’accord abrahamique avec Israël, un accord de sécurité avec l’Iran, malgré les îles occupées
2. Fournir le port maritime de Barbara à l’Ethiopie loué de et aménagé par Abu Dhabi,, et participer au financement du Grand barrage Ethiopian (Renaissance)
3. Établir une infrastructure militaire sur l’île yéménite Mayone sur la rive de Bab al-Mandab et financer et former environ 100 000 soldats yéménites pour garder cette infrastructure en vue de séparer le sud du Yémen de son nord
4. La raison la plus importante reste liée à la sortie des États-Unis d’Amérique de la région et à l’instruction donnée à ses alliés de travailler entre eux pour se protéger.
Ce qui explique la poussée émiratie dans le domaine maritime dans le Golfe, la Mer Rouge, Bab al-Mandab et l’Océan Indien
Abu Dabi aspire a joué un rôle dans Bab al-Mandeb, d’où va affluer le commerce chinois dans la région, estimé à 3 000 milliards de dollars, et qui menace de transformer le port de Jebel Ali des Émirats arabes unis, le quatrième au monde, en un port local.
Parier sur un changement politique radical au Moyen-Orient en intégrant Israël dans le monde arabe à travers le plan abrahamique et en marginalisant ainsi la cause palestinienne, qui a occupé le devant de la scène du monde arabe pendant plus de trois quarts de siècle
Il ne fait aucun doute que la politique étrangère offensive des Émirats arabes unis est audacieuse et ambitieuse, mais elle est toujours exposée à des risques soudains résultant de la faiblesse démographique de ce pays, qui a été contraint de retirer ses forces de la guerre au Yémen en raison de la perte d’une centaine d officiers et soldats dans le conflit avec les Houthis.