Depuis la mi-novembre, le dossier de la sécurité sanitaire fait couler beaucoup d’encre, les scandales en matière d’hygiène alimentaire se succédant à un rythme accéléré. Pas un seul secteur n’a été épargné à ce jour… au grand dam de certains propriétaires de commerces qui s’estiment lésés. La campagne initiée par le ministre de la Santé, Waël Bou Faour, avait alors suscité une vive polémique, certains ministres allant même jusqu’à la critiquer. Finalement, tous les ministres concernés par le secteur de l’hygiène alimentaire se sont ralliés à la campagne, et un chantier de réformes semble être lancé.

« Plusieurs dossiers étaient à l’ordre du jour à l’époque », explique à L’Orient-Le Jour Joyce Haddad, ingénieur agroalimentaire, responsable du dossier de la sécurité sanitaire des aliments au ministère de la Santé. « C’est en mettant le projet sur les rails que les problèmes ont commencé à émerger l’un après l’autre », indique-t-elle.

Pour Joyce Haddad, la principale réalisation de cette campagne reste « la prise de conscience collective du problème de l’hygiène alimentaire ». « Les propriétaires des commerces ont fini par s’apercevoir que cette campagne est sérieuse et non pas passagère », souligne-t-elle.

Pour assurer sa pérennité et pour qu’elle ne soit pas « tributaire de la personne du ministre », un mécanisme de travail est « en train d’être développé au ministère », assure Joyce Haddad. Celui-ci a pour objectif de mieux cadrer le travail de toute l’équipe chargée de l’hygiène alimentaire, comme les inspecteurs et les médecins dans les cazas.

« Nous sommes également en train de créer notre propre base de données sur toutes les entreprises du secteur agroalimentaire dans le pays, précise Mme Haddad. Cela est d’autant plus important que le nombre d’entreprises illégales est largement supérieur à celui des entreprises légales. » Et c’est au niveau de ces entreprises que les problèmes se posent. « Nous dressons aussi des listes de contrôle pour chaque secteur (restaurants, supermarchés, boucheries, boulangeries, etc.) que les inspecteurs doivent respecter, note Joyce Haddad. De plus, nous publions un rapport hebdomadaire sur la situation de l’hygiène alimentaire. »

L’experte précise par ailleurs que le ministère prélève chaque semaine quelque mille échantillons qu’il fait examiner dans des laboratoires accrédités. « Nous ne nous limitons pas uniquement aux examens microbiologiques, indique-t-elle, mais nous effectuons également des tests sur les résidus chimiques dans les produits, l’aflatoxine (le nom générique d’une série de toxines sécrétées par des moisissures qui prolifèrent sur des graines conservées en atmosphère chaude et humide, et qui ont un pouvoir cancérigène élevé, NDLR), les additifs… La situation s’est améliorée, mais un long chemin reste encore à parcourir. »

Légiférer en cas d’urgence

Même son de cloche chez le président de la commission parlementaire de la Santé, Atef Majdalani, qui estime que la principale réalisation de cette campagne c’est qu’elle a mis en relief la gravité du problème et créé un climat de pression général, ce qui a facilité l’adoption, en janvier dernier, par les commissions parlementaires mixtes de la proposition de loi sur la sécurité sanitaire des aliments.

L’importance de cette proposition de loi c’est « qu’elle permet le passage d’une étape chaotique, caractérisée par l’interférence des prérogatives des différents ministères concernés, à un seul organisme chargé de la sécurité sanitaire des aliments ». Cette proposition de loi, « qui contrôle le secteur de la fourche à la fourchette », devra être votée à la prochaine séance plénière de l’Assemblée. Or, en raison de la vacance présidentielle, plusieurs blocs parlementaires refusent de légiférer, sauf en cas d’urgence. « Le président de la Chambre, Nabih Berry, a envoyé une liste des propositions de loi en suspens aux différents blocs parlementaires qui doivent lui donner une réponse prochainement sur les questions qu’ils jugent urgentes, souligne le Dr Majdalani. Nous estimons que cette proposition de loi est urgente, d’autant qu’elle touche à la santé des citoyens. »

Toufic Rizk, doyen de la faculté des sciences à l’Université Saint-Joseph, estime de son côté que l’importance de cette campagne c’est qu’elle « a fait bouger le dossier d’une manière concrète ». Pour l’expert international en sécurité sanitaire des aliments, cette campagne manque toutefois de structure qui assure sa pérennité de la manière la plus scientifique possible. « L’action qui a été menée est bonne, mais elle doit impliquer tout le monde car c’est un travail collectif qui ne relève pas d’une seule personne, insiste-t-il. Tout un travail de sensibilisation et de formation doit être effectué sur le terrain. Mais il faudrait surtout que toute cette action ait des bases scientifiques standardisées et internationalement reconnues. »

Nada MERHI

L’Orient Le Jour

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