Êtes-vous « locavore » ? Ce néologisme, entré depuis peu dans le Larousse, vous est peut-être inconnu. Il désigne un mode de consommation de plus en plus en vogue aux États-Unis comme en Europe : la consommation de nourriture produite dans un rayon d’une centaine de kilomètres autour de son domicile. Fervent adepte du bio, le locavore favorise des « circuits courts » pour s’approvisionner, en achetant directement – ou au maximum à travers un seul intermédiaire – auprès des producteurs. En France, par exemple, 20 % des agriculteurs commercialisent déjà leur production en circuit court. Une tendance qui va en s’accentuant grâce à Internet qui a connecté le monde rural à la planète citadine. Même les Américains, pourtant adeptes de la « junk food », se rapprochent des produits frais et des producteurs. Selon une récente enquête du département de l’Agriculture américain, on compte désormais 8 268 « farmer markets » (« marchés de producteurs ») sur l’ensemble du territoire. Une croissance de 180 % depuis 2006. Demande de traçabilité Au Liban, consommer local a toujours eu le vent en poupe. Tout citadin ou presque a un lointain cousin resté au village qui peut le fournir en produits du terroir ou bio. Ce qui change aujourd’hui, c’est la professionnalisation de ce circuit. Échaudés par les scandales alimentaires à répétition de ces derniers mois – de la labné à la natamycine en passant par la farine où se retrouvent des déjections de rats… –, les Libanais plébiscitent de plus en plus ce mode de consommation. « On constate une croissance moyenne de 20 % de la consommation de produits bio », se réjouit Youssef Khoury, directeur du bureau libanais de L’Institut méditerranéen de certification (IMC), le principal organisme à homologuer les produits bio au Liban. Pour ce responsable, le Liban est aujourd’hui proche de pays européens où le bio représente 2 à 3 % du budget alimentaire moyen. Or, quoi de mieux pour garantir la traçabilité d’un produit que de se fournir auprès de circuits courts et du secteur du bio ?

On connaissait déjà le marché des producteurs de Souk el-Tayeb ou les « paniers bio » que des producteurs livrent en direct au domicile de leurs clients. Le Potager bio, par exemple, est une marque fondée en 2011 par Rudy et Zeina Daoud pour commercialiser les produits biologiques de leur ferme, située dans la Békaa-Ouest. L’entreprise, qui compte cinq salariés, livre chaque semaine une centaine de ses paniers remplis à ras bord d’épinards, de salades, d’oignons, de persil, de pommes de terre… Le tout pour 20 dollars le carton, soit un très léger surcoût par rapport aux cultures conventionnelles. « Vendre directement au consommateur favorise une relation de proximité », vante Rudy Daoud du Potager Bio, qui a lâché sa carrière de financier au sein du groupe Saradar pour se consacrer au développement de sa ferme. Rudy Daoud vend également dans la grande distribution, mais à un prix nettement inférieur : « J’y écoule les surplus. » Désormais, certains exploitants agricoles choisissent d’aller encore plus loin en ouvrant leur propre boutique. « Pour le producteur, le seul moyen de s’en sortir est de devenir partenaire d’une chaîne qui aboutit au consommateur. C’est pourquoi l’avenir est aux filières où la maîtrise de l’ensemble du processus est possible, depuis le produit brut, en passant par sa transformation jusqu’à sa distribution », expliquait Riad Saadé du Centre de recherche et d’études libanais (Creal), dans un entretien au Commerce du Levant (octobre 2013). Pour le particulier, l’avantage réside dans le « contrat de confiance » passé avec le producteur. Quant au producteur, ce système lui permet de se passer des intermédiaires, les marchés de gros notamment, et d’améliorer sa profitabilité. Pour Henri Bou Obeid, fondateur de Bioland, qui commercialise les produits de son exploitation, située dans la région de Batroun, la création de sa propre boutique lui permet de conserver « entre 25 et 40 % de marges selon les produits, avec, pour résultat, aussi, une baisse du prix pour le consommateur. » Grâce à cela, le bio se positionnerait presque au même niveau que des produits issus de l’agriculture conventionnelle. Bioland, l’art de se diversifier La boutique Bioland a été fondée fin 2013 pour écouler les produits de la ferme familiale située dans la région du Batroun. En complément, Henri Bou Obeid, qui la dirige, s’est associé à d’autres producteurs bio pour mieux achalander sa boutique. On y trouve une cinquantaine de produits locaux – dont des produits laitiers ou de la viande de mouton ou de chèvre – ainsi qu’une cinquantaine de marques importées. « Nous passer d’intermédiaires nous permet de positionner nos produits au même rang que ceux de l’agriculture conventionnelle. » À Sioufi, Bioland se veut le lieu de rencontre des amateurs de naturel. Son restaurant, qui a ouvert il y a moins d’un mois, propose un menu à 90 % bio et un service de livraison partout dans le Grand Beyrouth. Pour les amateurs d’air pur, la ferme de Batroun dispose d’un service similaire. Dernier-né, La Vie claire Rudy et Zeina Daoud vendaient déjà les produits de leur ferme grâce à la livraison à domicile de paniers Le Potager bio. Ils investissent aujourd’hui 500 000 dollars pour ouvrir deux boutiques en franchise La Vie claire à Beyrouth (Achrafieh) et à Hazmieh. En plus de leurs légumes et de leur « mouné » (conserves artisanales), ils commercialiseront quelque 500 références La Vie claire, pionnier du bio et n° 2 du secteur de la distribution en France. Pour le couple, ces ouvertures diversifient les points de contact avec leur clientèle. « Cet hiver, le col de Dahr el-Baïdar, entre la Békaa et Beyrouth, a été bloqué suite à des manifestations des familles de soldats libanais, dont les fils sont prisonniers de groupes islamistes syriens. L’impossibilité de livrer pendant plusieurs semaines nous a fait perdre beaucoup d’argent. » D’où leur décision de s’implanter à Beyrouth.

Muriel ROZELIER- L’Orient Le Jour

 

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