Nour Braïdy

L’application tant attendue d’un nouveau code de la route moderne commence aujourd’hui. Avec un nombre de morts et de blessés sur les routes qui ne fait que grimper, cette bonne nouvelle n’a que trop tardé. Toutefois, les interrogations demeurent : ce nouveau code de la route aura-t-il plus de chances d’être appliqué avec succès que les précédents ? Comment cela sera-t-il possible sachant que, de l’aveu même des autorités (voir ci-dessous), le nombre d’agents des Forces de sécurité intérieure (FSI) formés n’est toujours pas suffisant, le système de permis à points n’est pas en place, les décrets ministériels pour le lancement de projets tels celui des plaques d’immatriculation intelligentes n’ont pas été adoptés, la réforme des écoles de conduite n’a pas encore eu lieu… De plus, que dire de l’état des routes qui est en soi une cause majeure d’accidents, le manque d’éclairage la nuit, etc.

Dans les jours qui ont précédé l’application de ce code de la route, les réactions des automobilistes sur les réseaux sociaux se sont fait particulièrement acerbes. « Quand un agent des FSI voudra me verbaliser pour un phare cassé, je lui demanderai où sont les poteaux (d’éclairage public) dans les rues », lance un citoyen dans un tweet. Toutefois, même les plus sceptiques ne peuvent que se réjouir au moins de la limitation de la vitesse sur les routes, du port de la ceinture de sécurité ou du casque, de l’interdiction du portable au volant… Des mesures simples qui peuvent sauver des vies. L’espoir est permis.

Le nouveau code de la route, une longue gestation

Octobre 2003 : la commission parlementaire des Travaux publics et des Transports, présidée par le député Mohammad Kabbani, charge la Yasa, ONG pour la sécurité routière, de préparer un nouveau code de la route. En juin 2005, le projet est présenté au Parlement libanais qui l’adopte en juillet 2012 après plusieurs amendements. Le 22 octobre 2012, la loi 243 est signée par le président Michel Sleiman et le chef du gouvernement Tammam Salam. Trois jours plus tard, le code de la route est publié au Journal officiel et vient, avec ses 177 pages, remplacer le code poussiéreux et obsolète de 1967. Coup de théâtre le 27 février 2013 : les ministres demandent la suspension de l’application du nouveau code. Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Marwan Charbel, estime notamment que la loi comprend « de nombreuses irrégularités ». Le 25 avril 2013, la Yasa et d’autres organisations présentent un recours devant le Conseil d’État qui, d’abord, ordonne de surseoir à l’application de la suspension du code, puis abroge la décision du Conseil des ministres le 2 juillet 2014. À partir de là, le gouvernement est tenu d’appliquer le code. Mais trop de retard a été pris. Des décrets d’application et des préparations au sein des institutions concernées, rien n’est fait. Or l’application du code est prévue pour le 22 avril 2015. Quelles sont les nouveautés de ce code? Quid de sa mise en œuvre? L’avocat de la Yasa, Me Lahoud Lahoud, ainsi qu’une source des Forces de sécurité intérieure (FSI) répondent aux questions de L’Orient-Le Jour.

Quelles sont les nouveautés ?

Des écoles de conduite certifiées

Dans le cadre du nouveau code de la route, « on ne pourra plus acheter son permis de conduire et se retrouver sur les routes sans connaître les bases des règles de conduite et mettre sa vie et celle des autres en danger », déclare Me Lahoud, selon qui il n’y a pas aujourd’hui « de véritables auto-écoles mais uniquement des bureaux ». Le nouveau code de la route impose à ceux qui souhaitent devenir instructeurs dans une auto-école (art. 237) d’être diplômés d’une école technique et aux écoles d’être équipées (art. 239) d’une salle de cours et d’au moins deux voitures (art. 241). « Les bureaux souhaitant devenir des auto-écoles reconnues devront respecter ces règles », souligne Me Lahoud. Quand il passera son examen, le futur conducteur devra, pour sa part, présenter un certificat prouvant qu’il a suivi plusieurs heures de cours dans une auto-école.

Création d’un permis à points « Nous voulons que le conducteur soit content de respecter le code, mais aussi l’empêcher de commettre des infractions. Le système du permis à points a prouvé son efficacité au niveau de la diminution du nombre de tués sur les routes dans les États qui l’ont appliqué », assure Me Lahoud. Dans le nouveau code, la mise en place d’un permis à douze points est prévue (art. 265). Le conducteur se verra retirer un certain nombre de points selon l’infraction qu’il commet. S’il perd tous ses points, son permis lui sera retiré pendant six mois, lors desquels il devra suivre des cours spécifiques dans une école de conduite. Par ailleurs, les infractions de chaque conducteur seront consignées dans un registre (art. 364). Des plaques d’immatriculation « intelligentes » Le code impose également des plaques d’immatriculation « intelligentes » qui permettent de savoir à qui appartient le véhicule et d’avoir des informations sur le propriétaire. Les détails relatifs à cette plaque (art. 145) doivent être précisés par le ministère de l’Intérieur. Des amendes progressives

  Dans le nouveau code, les infractions sont divisées en 5 catégories : – La 1re catégorie comprend des infractions telles que : rouler à vélo sans casque ou avec un casque mal attaché ; doubler une voiture dans un rond-point (- 1 point), oublier d’actionner son clignotant ; avoir équipé son véhicule d’un système sonore (alarme, sirène) illégal ; garer son véhicule où il est interdit de le faire ; garer sur le trottoir. Si paiement dans les 15 jours suivant la notification ou l’émission de l’amende : 50 000 LL. Si paiement entre 15 et 30 jours après la notification ou l’émission de l’amende : 70 000 LL. Si paiement plus d’un mois après la notification ou l’émission de l’amende, le juge décide du montant de l’amende qui varie entre 100 000 et 150 000 LL. – La 2e catégorie comprend des infractions telles que : sortir la tête ou un membre du corps par la fenêtre ; s’asseoir sur le rebord de la fenêtre lors du déplacement du véhicule ; fumer ou manger en roulant quand on est chauffeur de taxi ou d’un autre type de transport public (- 2 points) ; dépasser la limite de vitesse de 20 km (- 2 points) ; ne pas laisser la priorité aux véhicules des forces armées, des pompiers, des secours et de la Défense civile (- 2 points) ; ne pas s’arrêter au stop ; avoir des vitres fumées. Si paiement dans les 15 jours suivant la notification ou l’émission de l’amende : 100 000 LL. Si paiement entre 15 et 30 jours après la notification ou l’émission de l’amende : 150 000 LL. Si paiement plus d’un mois après la notification ou l’émission de l’amende, le juge décide du montant de l’amende qui varie entre 200 000 et 300 000 LL. – La 3e catégorie comprend des infractions telles que : franchir les lignes continues ; laver son véhicule sur la voie publique ; conduire le véhicule avec 0,5 à 0,8 grammes d’alcool dans le sang (- 3 points) ; utiliser un téléphone portable en conduisant (- 3 points) ; ne pas porter de casque ou porter un casque mal attaché à moto ou en ATV (- 3 points) ; dépasser la limite de vitesse de plus de 20 km/h mais de moins de 40 km/h (- 3 points) ; ne pas utiliser la ceinture de sécurité à l’avant comme à l’arrière (- 3 points, si le passager est mineur c’est le conducteur qui reçoit l’amende). Si paiement dans les 15 jours suivant la notification ou l’émission de l’amende : 200 000 LL. Si paiement entre 15 et 30 jours après la notification ou l’émission de l’amende : 350 000 LL. Si paiement plus d’un mois après la notification ou l’émission de l’amende, le juge décide du montant de l’amende qui varie entre 350 000 et 450 000 LL. – La 4e catégorie comprend des infractions telles que : ne pas s’arrêter ou ralentir pour permettre aux piétons de passer (- 4 points) ; prendre un sens interdit (- 4 points) ; conduire avec 0,8 à 1 gramme d’alcool dans le sang (- 4 points) ; dépasser la limite de vitesse de 40 à 60 km par heure (- 4 points) ; ne pas respecter les feux (- 4 points) ; jeter des détritus sur la voie publique. Si paiement dans les 15 jours suivant la notification ou l’émission de l’amende : 350 000 LL. Si paiement entre 15 et 30 jours après la notification ou l’émission de l’amende : 450 000 LL. Si paiement plus d’un mois après la notification ou l’émission de l’amende, le juge décide du montant de l’amende qui varie entre 500 000 et 700 000 LL. – La 5e catégorie comprend des infractions telles que : conduire un véhicule avec plus d’1 gramme d’alcool dans le sang (- 6 points et véhicule saisi) ; conduire un véhicule sous l’emprise de la drogue (- 12 points et véhicule saisi) ; dépasser la limite de vitesse de plus de 60 km/heure (- 6 points et véhicule saisi) ; conduire sans permis (véhicule saisi). Le juge décide du montant de l’amende qui varie entre 1 million et 3 millions de LL, et le conducteur risque 1 mois à 2 ans de prison. – Il existe également une catégorie d’infractions relatives aux piétons : ne pas respecter les feux piétons, traverser l’autoroute. Si paiement dans les 15 jours suivant la notification ou l’émission de l’amende : 20 000 LL. Si paiement entre 15 et 30 jours après la notification ou l’émission de l’amende : 30 000 LL. Si paiement plus d’un mois après la notification ou l’émission de l’amende, le juge décide du montant de l’amende qui varie entre 50 000 et 100 000 LL.
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  Création d’une unité spécialisée au sein des FSI « Au Liban nous n’avons pas d’unité spécialisée pour l’application du code de la route sur le terrain. Un policier ayant suivi des formations en matière de sécurité routière pouvait en effet jusqu’à présent être transféré dans un autre service sans que sa spécialisation ait été mise à profit », explique Me Lahoud. Le nouveau code de la route prévoit la création d’une unité spécialisée ayant pour rôle de veiller à l’application du code et de gérer les questions de sécurité routière. Cette unité (art. 414) doit être créée par un décret du gouvernement après une proposition du ministre de l’Intérieur. Création d’un Conseil national de la sécurité routière (art. 355) Dans le contexte précédant le nouveau code, « il y avait des conflits d’intérêts entre les ministères. Souvent, on ne savait pas quel ministère était responsable d’un problème donné alors que chacun rejetait la responsabilité sur l’autre. Ce conseil permet d’éviter ces problèmes », explique Me Lahoud. Le conseil est présidé par le chef du gouvernement et comprend les ministres de l’Intérieur, des Travaux publics et des Transports, de la Justice et de l’Éducation. Son rôle est de préparer des politiques publiques, d’améliorer le code de la route… Ce conseil est en outre aidé par un comité (art. 359) présidé par le ministre de l’Intérieur et constitué de tous les directeurs généraux concernés, de juges ainsi que de représentants des auto-écoles, d’autres experts dans le secteur de la sécurité routière et de membres de la société civile. Son rôle est de préparer des études, des propositions d’examens, de mettre en place l’examen technique… Le code prévoit également la création du poste de « trésorier » (art. 361) en charge de la trésorerie du conseil. Son rôle est primordial, il appelle le conseil à se réunir, prépare l’ordre du jour… Le code sera-t-il appliqué?
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  L’avocat de la Yasa est pessimiste Pour Lahoud Lahoud, le nouveau code de la route est « moderne, il garantit la sécurité publique et permettra de diminuer considérablement le nombre de tués sur la route ». Mais, note-t-il, « tous ses articles doivent être appliqués, parce qu’ils se complètent. Or de nombreux articles ont besoin de décrets des ministères concernés. Comment vont-ils appliquer le code sans le système de permis à points, les auto-écoles et les comités ? ». L’avocat est, dans ce contexte, pessimiste quant à la mise en application du code et son respect dans la durée. « D’abord, les citoyens ne connaissent pas le code, ensuite les FSI n’ont pas du tout les moyens d’assurer sa mise en œuvre. » La faute à qui ? « Au peuple pour avoir élu ces députés, mais aussi au gouvernement qui ne donne pas la priorité à la vie humaine. » La réponse des FSI La source haut placée au sein des FSI justifie les retards dans la mise en place du permis à points et de l’unité spécialisée des FSI par le manque de temps. « La demande du Conseil des ministres de retarder l’application du code nous a tous retardés », explique la source. Le responsable indique par ailleurs que les FSI sont « en manque d’effectifs », tout en ajoutant que 4 000 nouveaux membres doivent être recrutés dans un avenir proche. De plus, « un groupe de spécialistes en sécurité routière forme les policiers sur la base du nouveau code ». Le responsable reste optimiste. « L’important est de commencer par appliquer le code et ensuite de continuer de construire sur nos premières réussites », ajoute-t-il. À ceux qui estiment que le code de la route ne sera pas mieux appliqué que la loi sur l’interdiction de fumer dans les lieux publics, la source au sein des FSI répond : « En ce qui concerne le code de la route, les conducteurs sont sur notre terrain. Pour les restaurants, c’est nous qui devons aller sur un autre terrain. » Une application par étapes Dans ce contexte, le responsable des FSI indique que le code sera appliqué par étapes. Une première étape de mise en œuvre est prévue du 22 avril au 30 avril, lors de laquelle « primera la prévention ». « Les amendes seront appliquées dans les cas suivants : excès de vitesse, conduite sous l’emprise de l’alcool ou de la drogue, conduite imprudente pour les deux-roues, non-respect des décisions administratives (conduire hors des horaires imposés pour les camions et les deux-roues) », précise-t-il.   (L’Orient Le Jour)

Publisher: Lebanese Company for Information & Studies
Editeur : Société Libanaise d'Information et d’Etudes
Rédacteur en chef : Hassan Moukalled


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