À en juger par l’ambiance et la fréquentation de la vingt-deuxième édition du Salon Horeca dédié aux professionnels de l’hôtellerie et de la restauration, qui s’est achevée hier après trois jours d’exposition, le secteur ne se porte pas si mal. Pourtant, depuis que le ministre de la Santé Waël Bou Faour a lancé, en novembre, une campagne de durcissement des contrôles relatifs aux respects des normes de sécurité sanitaire des aliments, des restaurants se voient contraints de mettre la clef sous la porte presque chaque semaine. Reste qu’après les indignations de la première heure – le président du syndicat des propriétaires de restaurants, Tony Ramy, ayant par exemple estimé que les accusations du ministre relevaient de la « diffamation » –, les professionnels afficheraient presque un satisfecit sur les effets de cette campagne sur leur activité.
« Ce scandale a été aussi douloureux que salvateur pour un secteur qui réclamait une refonte de la réglementation en vigueur depuis 30 ans », résume ainsi Tony Ramy à L’Orient-Le Jour, avant de préciser, d’un ton lapidaire : « Nous ne voulons plus avoir affaire à des amateurs. » De fait, le chiffre d’affaires des restaurants, cafés, boîtes de nuit et pâtisseries au premier trimestre 2015 a augmenté de 20 % en glissement annuel, selon M. Ramy. « Même s’il faut relativiser cette performance en rappelant que 2014 a été particulièrement désastreuse pour les restaurateurs, avec des résultats en chute d’environ 60 % par rapport aux années fastes de 2009 et 2010, ce rebond manifeste d’un regain de confiance chez les consommateurs », affirme-t-il. « Ce regain d’activité n’est pas le reflet d’un secteur en croissance, mais plutôt celui d’une situation socio-économique stagnante », tempère Serge Maacaron, copropriétaire de l’enseigne de restauration arménienne Mayrig. Il se félicite néanmoins que son enseigne n’ait pas pâti du scandale, que ce soit en termes de fréquentation ou d’un éventuel surcoût lié à ce tour de vis réglementaire. Un constat pas tout à fait partagé par les enseignes directement mises en cause dans les listes d’établissements présentant des « irrégularités », communiquées par M. Bou Faour à la presse. Pour Roadster Diner Company, qui emploie près d’un millier de salariés dans une vingtaine d’établissements, la mise à l’index de l’un d’entre eux (dans le Metn) pour des poitrines de poulet jugées non conformes, a sans doute contribué à la baisse de 5 % des revenus constatée depuis novembre 2014. Elle ne s’est en revanche pas traduite par une explosion des frais relatifs au contrôle interne des denrées : « La sécurité sanitaire des aliments a toujours été au centre des préoccupations de Roadster Diner. Nous comptons investir cette année 1,5 million de dollars dans ce domaine ; une somme en légère hausse par rapport à 2014 », explique la direction du groupe à L’Orient-Le Jour. Un budget qui couvre, entre autres, les audits et tests de laboratoire, la construction d’une seconde cuisine centrale pour séparer le traitement des aliments crus de celui des aliments frais ; ou encore l’acquisition de camions spéciaux de livraison d’eau. Également mis en cause par le ministère de la Santé à travers l’un de ses établissement, le groupe Kababji n’a, lui, pas souhaité communiquer à L’Orient-Le Jour les conséquences financières de cette campagne sur son activité.
« Autocontrôle » Reste que cinq mois après le lancement de la campagne de répression des fraudes sanitaires, l’ensemble du secteur serait désormais entré dans « une phase d’autocontrôle qui repose essentiellement sur l’action des agents chargés de surveiller la bonne application de normes d’hygiène des aliments, lequelles étaient ignorées par de nombreux professionnels il y a encore quelques mois », explique M. Ramy. Un autocontrôle qui a un coût. Il est toutefois difficile à chiffrer dans la mesure où il varie en fonction de la capacité financière de l’enseigne, du niveau d’exigence recherché par le restaurateur ou de sa décision de recruter à plein-temps un controleur de l’hygiène des aliments. « Dans ce dernier cas, il faut être prêt à payer un salaire qui varie entre 2 000 et 3 000 dollars mensuels pour un employé qualifié », expose M. Ramy. « Pour les établissements qui préfèrent sous-traiter, les agences spécialisées facturent chaque visite d’inspection aux alentours de 200 dollars. Elles durent généralement deux heures et doivent être effectuées a minima à un rythme bimensuel, », ajoute-t-il. Au Liban, le marché de la sécurité des produits alimentaires est dominé par les sociétés Boecker et GWR, qui se partagent près de 80 % du marché et bénéficient de l’homologation du syndicat des restaurateurs. En plus des visites de conformité, ces sociétés proposent de nombreux services de certification. Il faut ainsi compter 8 000 dollars en moyenne pour un certificat HACCP (système d’analyse des dangers et des points critiques pour leur maîtrise) et 10 000 dollars environ pour la certification à la norme internationale ISO 22 000 : 2005. Selon des employés de Boecker et GWR, les demandes concernant des mises en conformité de restaurants « ont explosé » depuis novembre 2014. Reste à savoir si l’adoption éventuelle du projet de loi relatif à la sécurité sanitaire des aliments, débattu dans les prochaines semaines au Parlement, accentuera ultérieurement cette tendance, et les coûts afférents pour la profession.
Au Liban, la victime d’une intoxication alimentaire vraisemblablement contractée dans un restaurant peut poursuivre l’établissement responsable au civil. Le demandeur pourra obtenir des dommages et intérêts pour le préjudice subi s’il arrive à établir la responsabilité du restaurant. De son côté, le restaurateur peut, s’il estime que l’intoxication est de la responsabilité de l’un de ses fournisseurs, exercer un recours contre ce dernier, afin d’obtenir réparation à son tour. Cette procédure est totalement transparente pour la victime de l’intoxication, et le juge peut même décider, si le cas le justifie, de condamner le restaurant et le fournisseur à réparer solidairement le préjudice. Sur le plan pénal, le client peut poursuivre le restaurateur au cas où ce dernier aurait commis une infraction spécifiquement prévue par la règlementation. Il a également la possibilité de poursuivre pénalement le professionnel s’il parvient à établir une intention de nuire de la part de ce dernier. Selon le président du syndicat des restaurateurs, Tony Ramy, les dispositions du projet de loi visant à réformer la réglementation en matière de sécurité sanitaire des aliments sont encore « confidentielles ». À ce jour, on ignore donc si le législateur entend modifier les règles de mise en œuvre de la procédure en responsabilité civile et pénale des restaurateurs, le niveau des peines encourues, ou bien les deux.
Par Philippe HAGE BOUTROS, L’Orient Le Jour