Sur le papier, c’est le plus ambitieux projet de logements du Grand Paris : la construction de 24.000 habitations aux bords d’un immense parc doit métamorphoser un coin oublié de Seine-Saint-Denis. Un rêve de 30 ans pour l’urbaniste Roland Castro, dont certains redoutent le gigantisme.
Intitulé « Central Park du Grand Paris », ce projet dévoilé en octobre dernier s’est accéléré en avril, lorsque le Premier ministre, Manuel Valls, a mentionné les franges du parc Georges-Valbon, où il doit être implanté, au nombre des sites privilégiés pour les travaux du Grand Paris.
« Ce projet aurait un rayonnement mondial exceptionnel », vante M. Castro, qui imagine tout un quartier de tours d’habitations cernées de nature. « Il contribuerait au bonheur de ses habitants autant qu’au prestige de notre pays », et serait une réponse massive à la crise du logement en région parisienne, ajoute l’architecte.
Il s’agit de transformer sur 110 ha les franges du plus grand parc aménagé d’Île-de-France, un espace arboré recelant une biodiversité variée et très apprécié des habitants de Seine-Saint-Denis, mais encerclé par les autoroutes et coupé des quartiers défavorisés qui l’entourent.
En comptant les alentours, ce serait près de 45.000 logements au total qui pourraient voir le jour, soit 65% de l’objectif de construction annuel assigné au Grand Paris.
Manuel Valls a endossé l’idée d’urbaniser les franges de ce parc, pour « créer un grand quartier, mixte et durable, autour du parc, (qui) offrirait d’importantes perspectives de développement et d’emplois ».
Pour l’Etat, le projet de Roland Castro ne représente cependant qu’une « potentialité » parmi d’autres, souligne Thierry Lajoie, missionné par M. Valls pour faire avancer le dossier: « On peut écrire le meilleur scénario du monde, sans les études, la concertation politique et l’association des habitants au projet, ça ne suffit pas », explique-t-il.
En attendant, les brochures sur papier glacé de Roland Castro font grincer des dents. A l’instar des maires communistes du pourtour du parc, la députée Marie-George Buffet redoute que le projet ne se fasse « sans concertation ».
Le parc Georges-Valbon au bord duquel doivent être construits des dizaines d’immeubles « est le plus grand espace de détente » de la région parisienne, « c’est le lieu de week-end et de vacances des classes laborieuses de Seine-Saint-Denis », souligne Antoine Valbon, fils du concepteur de cet espace vert, qui participe à des pique-niques d’opposants dans le parc.
Le projet nécessite par ailleurs de sacrifier 70 hectares classés Natura 2000, un déclassement d’une ampleur jamais vue en Europe pour une zone protégée par ce label. « C’est une opération mercantile sur le dos des populations ! », s’emporte M. Valbon.
« Le projet est tellement intelligent qu’il y a un effet de sidération! », avance aujourd’hui Roland Castro. Il « va s’adapter » et « le nombre de logements sera peut-être un peu moins élevé que prévu », tout en gardant une « taille critique », ajoute-t-il.
Marqué à gauche et habitué à jouer les poils à gratter de l’architecture, Roland Castro, qui reçoit cigarette au bec dans un éternel costume rayé, assure que les espaces naturels supprimés seraient plus que compensés par la création de nouvelles zones vertes.
« On dit +béton+, ça suffit à foutre une trouille noire » alors que le projet prévoit « d’agrandir le parc, de planter de nouvelles espèces d’arbres », assure-t-il.
Spécialiste reconnu des banlieues, dont il soigne les maux à coups de rénovations et de constructions pensées pour leurs habitants, M. Castro balaie le risque de reproduire les erreurs des grands ensembles d’après-guerre. La Courneuve, et sa célèbre cité des 4.000, a payé à cet égard un lourd tribu.
Au contraire, « ce projet doit attirer des classes moyennes, des intellos, pour créer du mélange (…) il faut le meilleur pour chaque citoyen de ce pays », clame l’architecte. Dans son esprit, un ministère pourrait s’installer dans ce qui deviendrait l’un des nouveaux « centres » de la métropole.
Moins lyrique, le président PS du Conseil général, Stéphane Troussel, propriétaire du terrain, se dit confiant d’arriver à un consensus sur un projet d’aménagement, mais en rayant « les objectifs démesurés de logements, les dizaines d’hectares engloutis ». « Ce parc est un espace commun, ce n’est pas une friche ou du foncier disponible », met-il en garde.
AFP