Un forum organisé hier à l’École supérieure des affaires était l’occasion de faire le point sur le processus d’exploration des richesses pétrolières et gazières présumées du Liban. Avec un constat : le dossier est au point mort. À part le nouvel auditorium flambant neuf de l’École supérieure des affaires dans lequel elle se tenait, la conférence organisée hier sur le pétrole et le gaz au Liban avait tout d’une répétition du même forum organisé à l’Esa il y a un an. Car si « le sujet suscite beaucoup de débats et fait couler beaucoup d’encre », comme l’a signalé en introduction le directeur de l’école, Stéphane Attali, le dossier n’avance pas. Au grand dam de Fouad Makhzoumi, président du Forum du dialogue national, qui parraine l’événement, en partenariat avec Front Page Communication. Le patron du groupe libanais Future Pipe Industries, qui a 12 usines à travers le monde et produit des tuyaux spécialisés notamment pour l’industrie pétrolière, continue cependant d’espérer que de tels séminaires contribueront à « faire pression sur les autorités libanaises » afin qu’elles donnent le coup d’envoi du premier round d’attribution de licences d’exploration offshore. Processus en suspens Le processus est suspendu depuis novembre 2013, les 46 compagnies préqualifiées, dont de grands noms internationaux, n’étant pas en mesure de présenter leurs offres tant que deux décrets-clés n’ont pas été adoptés en Conseil des ministres. Il s’agit d’un décret définissant les coordonnées de dix blocs de concession dans la zone économique exclusive (ZEE) du Liban et d’un décret précisant les modalités du contrat d’exploration et de production (EPA en anglais) devant lier l’État aux sociétés concessionnaires. Un projet de loi sur la fiscalité du pétrole a parallèlement été élaboré pour compléter l’arsenal légal et réglementaire dont le coup d’envoi a été donné en 2010 avec la loi-cadre sur l’exploration et l’exploitation du pétrole offshore instaurant notamment une Autorité de l’énergie. « Les deux décrets sont prêts, ils ont fait l’objet de discussions approfondies en commission interministérielle et avec les compagnies internationales. Le ministère de l’Énergie et de l’eau, et l’Autorité de l’énergie ont fait ce qui relève de leur responsabilité. La décision de les inscrire à l’ordre du jour du Conseil des ministres relève du Premier ministre », a expliqué le ministre de tutelle Arthur Nazarian. Blocage politique Toutes les sources concordent à dire que ce ne sont pas les décrets en eux-mêmes qui posent problème, mais que les blocages sont d’ordre « politique », sans que leur nature exacte soit connue. Certains analystes ont un temps évoqué la chute des cours du brut comme facteur aggravant du retard. Un motif toutefois balayé par plusieurs experts selon qui c’est au contraire en période d’atonie du marché que le forage est particulièrement indiqué, parce que moins coûteux. Quel que soit le niveau des cours, la demande sera en tout cas au rendez-vous : « Elle va doubler d’ici à 2040-2050 et les hydrocarbures continueront de jouer un rôle prépondérant dans le mix énergétique », a en substance déclaré Mounir Bouaziz, du groupe Shell. Stratégiquement, le Liban bénéficie aussi d’une situation géographique intéressante, aux portes de l’Union européenne, alors que celle-ci réfléchit à réduire sa dépendance envers le gaz russe. La peau de l’ours D’autres observateurs attribuent la paralysie sur le dossier du gaz offshore aux mêmes raisons qui entravent la quasi-totalité des problèmes du pays, à savoir des considérations de rapport de force géopolitique. Plus prosaïquement, la classe politique serait en train de se disputer la peau de l’ours avant de l’avoir tué, dénonce Fuad Jawad, fondateur de PetroServ International. « Plus personne n’a confiance. Ailleurs, c’est l’économie qui fait avancer la politique. Chez nous, les politiques utilisent l’économie pour leurs intérêts particuliers », s’est emporté Fouad Makhzoumi, ancien candidat aux élections législatives à Beyrouth. Rien ne sert par exemple de se disputer d’ores et déjà sur la nature du fonds souverain appelé en vertu de la loi de 2010 à recueillir les revenus de l’exploration pétrolière, ont estimé plusieurs orateurs. Au meilleur des cas, les revenus ne sont pas attendus avant les six à sept ans suivant l’attribution des licences. D’ici là, ce qui comptera, ce sont les investissements qui accompagneront la phase d’exploration et les emplois qui seront créés, rappelle Mounir Bouaziz. « Il est urgent de trouver des débouchés aux futurs diplômés des universités qui ont introduit des cursus sur le pétrole et le gaz », s’est de son côté exclamé Fuad Jawad, qui plaide pour la création rapide d’une compagnie pétrolière nationale. Quelque 63 gisements potentiels L’accumulation du retard du Liban est d’autant plus mal vécue par les acteurs du secteur que les pays voisins sont déjà bien engagés dans l’exploration des gisements offshore. Noble Energy, qui détient des droits d’exploitation à Chypre et en Israël, vient d’annoncer que les réserves gazières du champ Aphrodite au large de l’île sont exploitables commercialement. Israël en est de son côté à chercher le meilleur moyen d’exporter le gaz qu’il aura en excédent après avoir satisfait sa demande interne. Seule satisfaction côté libanais : les études sismiques semblent, de l’avis quasi général, très prometteuses. « Ces cinq dernières années ont été mises à profit pour quadriller la zone économique exclusive du Liban. Et nous avons identifié 63 objectifs de forage avec des perspectives de succès intéressantes, voire élevées », assure Wissam Chbat, l’un des membres de l’Autorité de l’énergie, selon qui aucun pays n’a atteint ce stade de précision avant le lancement de la phase d’exploration. « C’est sans aucun doute un avantage. » Autre note positive, les études sur le potentiel pétrolier terrestre sont prometteuses, a annoncé en avant-première Jim Hollis, PDG de NeosGeosolutions, la société chargée de balayer une partie du territoire libanais. Les résultats seront annoncés ce mercredi. Sibylle RIZK- L’Orient Le Jour