Suzanne BAAKLINI| L’Orient Le Jour Après une réunion houleuse à la commission parlementaire de l’Énergie, lundi, la société civile de Hammana demande l’arrêt des travaux sur le site du barrage de Qaïssamani. Le dossier du barrage appelé Qaïssamani, situé au-dessus de la source Chaghour qui alimente Hammana et les environs, n’en finit pas de s’envenimer. Une réunion houleuse s’est déroulée lundi au Parlement, à la commission parlementaire de l’Énergie et des Travaux publics, présidée par le député Mohammad Kabbani qui a exigé des études supplémentaires sur le barrage. Entre-temps, et malgré une recommandation sur l’arrêt des travaux faite une semaine plus tôt par une sous-commission issue de la commission de l’Énergie, présidée par le député Hikmat Dib, les travaux se poursuivent à Qaïssamani à une cadence de plus en plus accélérée, selon les sources du conseil municipal. Lundi, à en croire des témoins, le débat en commission a opposé principalement le grand expert français en barrages Bernard Tardieu, à qui le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) avait demandé de présenter ses arguments concernant la sécurité de l’ouvrage lui-même, et des experts de l’AUB qui ont exposé un avis diamétralement opposé. Mais il y a eu aussi de violentes discussions entre les députés eux-mêmes, les sceptiques et les défenseurs du projet, toujours selon ces témoins. Les détracteurs du barrage, rappelons-le, évoquent les risques de séismes violents qui pourraient provoquer une rupture de la structure (mettant en danger la vie des habitants de la vallée en contrebas), l’impact sur le flux de la source de Chaghour qui alimente toute une région, ainsi que le manque d’études suffisantes du sous-sol et l’absence de toute mention d’alternative dans les études existantes. Au lendemain de cette réunion, un communiqué signé par « la société civile de Hammana » était publié. Les signataires revendiquent principalement « l’arrêt des travaux sur le site en attendant les études supplémentaires ». « Suite à la réunion de la commission parlementaire (…) et vu les débats houleux qui persistent entre les experts, la municipalité de Hammana et sa société civile estiment que le principal résultat d’une telle réunion a été de prouver que les études sont très insuffisantes, poursuit le texte. Il est désormais clair que ce dossier est traité avec beaucoup trop de légèreté par les ministères concernés. » Interrogé par L’Orient-Le Jour sur la revendication de la société civile de Hammana d’arrêter les travaux, Mohammad Kabbani a rappelé que « la sous-commission a déjà fait une recommandation dans ce sens, mais le ministère de l’Énergie et de l’Eau n’a pas encore répondu à cet appel ». Qu’est-ce qui a poussé la commission à exiger de nouvelles études ? « Au cours de la réunion, l’expert Bernard Tardieu a présenté des données et les experts de l’AUB lui ont opposé des arguments totalement opposés, a répondu M. Kabbani. Nous ne comprenions plus rien. Nous avons besoin de plus d’études pour prendre position.» M.Kabbani précise que la commission a fixé un délai de deux semaines avant de reprendre le débat sur la base des rapports qui lui seront parvenus. « Je n’ai pas de conviction personnelle sur le sujet, mes seules opinions seront fondées sur les études techniques, pas sur les appréhensions des uns et des autres », a-t-il affirmé. Une élévation « irrégulière » de la montagne Pour sa part, Jean Abi Younès, vice-président du conseil municipal de Hammana, qui était présent à la réunion de la commission, affirme à L’Orient-Le Jour que « l’atmosphère était très tendue ». « Nous soupçonnons certains éléments d’avoir provoqué des débats aussi houleux avec les députés afin que la réunion se termine en queue de poisson et que le vote n’ait pas lieu, dit-il. Nous sommes convaincus qu’une majorité de députés aurait voté contre la poursuite du projet. » M.Abi Younès revient sur la recommandation d’arrêt des travaux faite par la sous-commission, dont il a également suivi les réunions. « Cette sous-commission a écouté l’avis de plus d’une dizaine d’experts, parmi lesquels des géologues, des hydrogéologues, des environnementalistes, etc., indique-t-il. Elle s’est donc fait une idée précise de la situation avant de faire sa recommandation. Parmi ces experts, nous avons écouté Alexandre Sursock, directeur du Centre de géophysique du Conseil national de la recherche scientifique (CNRS), qui a expliqué que la montagne libanaise continue de s’élever de plusieurs millimètres par an, mais pas de manière homogène. Pour nous, cela signifie donc un risque de fissures. » Enfin, il évoque un autre point qui alimente, selon lui, les doutes des habitants de Hammana sur le bien-fondé du projet. « Une étude sur le barrage avait été commandée au bureau international Veritas avant le début des travaux, explique-t-il. Nous avons beau demander à la consulter, on ne nous en fournit pas une copie. Pourquoi ? » « Et pourtant, l’alternative existe ! » Dans ce débat auquel il a beaucoup participé, Antoine Jabre, ingénieur originaire de Hammana, ne veut pas s’attarder sur les arguments en défaveur de la construction du barrage, qu’il estime pourtant solides. À L’Orient-Le Jour, il explique qu’il existe une alternative beaucoup plus simple, beaucoup moins coûteuse et certainement beaucoup plus sûre à ses yeux. « Ce barrage est supposé approvisionner en eau les habitants de trente villages du Haut-Metn, dit-il. En fait, son apport ne sera pas constant. Sa capacité maximale, estimée à 800 000 mètres cubes d’eau, est répartie entre trente villages, auxquels il faudra ajouter Hammana si le flux du Chaghour est diminué de manière significative, comme nous le pensons. » L’alternative qu’il propose consiste simplement à profiter d’une eau qui coule naturellement en abondance dans les vallées de la région. Citant les chiffres fournis annuellement par l’Office du Litani, l’ingénieur souligne que des dizaines de millions de mètres cubes d’eau, descendant de Jabal Kneissé, passent par les vallées de Hammana, Falougha, Qornael, Jouar el-Hoz, Kfarselwane et Tarchiche, et se déversent dans les deux vallées de Nahr Beyrouth et Nahr el-Gehmané. Selon les estimations de l’Office du Litani, révélées en 2014 par le ministère de l’Énergie et de l’Eau, de 5,5 à 10 millions de mètres cubes transitent chaque hiver par la seule vallée de Chaghour-Hammana. « Ces eaux sont faciles à saisir et doivent être saisies, mais en partie seulement pour ne pas assécher le fleuve de Beyrouth, entre les mois de novembre et mai, souligne M. Jabre. Les parois des vallées n’étant pas aptes à supporter des barrages, l’eau captée à haute altitude en hiver pourrait être facilement acheminée par gravité et stockée dans des bassins en béton situés au-dessus de chaque village. » L’ingénieur se dit convaincu que de tels bassins, bien plus modestes qu’un barrage, ne modifient pas le cours du fleuve et peuvent stocker, en toute sécurité, des quantités plus importantes d’eau pour assurer l’eau courante aux ménages et les besoins de l’irrigation. « Est-ce parce qu’une telle alternative semble si simple que personne ne veut la prendre en considération ? » ajoute-t-il.

Publisher: Lebanese Company for Information & Studies
Editeur : Société Libanaise d'Information et d’Etudes
Rédacteur en chef : Hassan Moukalled


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