Suzanne BAAKLINI| L’Orient Le Jour Les résultats de l’ouverture des plis financiers pour la gestion des ordures, annoncés par la commission ministérielle la veille, ont été rejetés par le Conseil des ministres… Et la saga continue. Est-ce le mécontentement populaire qui a fait rebrousser chemin aux ministres, après la révélation des prix, jugés trop élevés, des appels d’offres sur la gestion des déchets ? Est-ce que l’« entente » autour des contrats décrochés par les compagnies pour la gestion des régions n’était pas parfaite ? Quoi qu’il en soit, ce qui avait été salué la veille par le ministre de l’Environnement, Mohammad Machnouk, comme une « réalisation » et une « nouvelle page qui s’ouvre » a été rejeté moins de 24 heures plus tard par le Conseil des ministres : les prix rendus publics lors de l’ouverture des plis financiers de l’appel d’offres ont été jugés beaucoup trop élevés lors de la session extraordinaire d’hier matin, et l’appel d’offres a été annulé. Interrogé par L’Orient-Le Jour sur ce qui s’est passé, Mohammad Machnouk s’est contenté de rappeler que sa conférence de presse de la veille avait été tenue directement après l’ouverture des plis financiers, sachant que ceux-ci devaient être soumis à un audit. Il affirme toutefois que « la commission a trouvé que les prix étaient plus élevés qu’elle ne s’attendait, et a inclus cette remarque dans son rapport au Conseil des ministres ». En Conseil des ministres, donc, il a été décidé de renvoyer cette question à la commission ministérielle chargée de ce dossier, pour qu’elle décide entre deux options : soit de charger le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) de rediscuter les prix, soit de procéder à un nouvel appel d’offres. « Il faut que la commission se réunisse de nouveau », précise M. Machnouk. Et quelle serait la tendance ? « Personne ne peut répondre à cette question pour le moment, dit-il. Personnellement, je ne serai pas favorable à de nouveaux appels d’offres, pour la somme de travail que cela représente. » Il est vrai, selon le ministre, que les prix paraissent élevés, mais il ajoute que les entrepreneurs justifient cela par les investissements indispensables sur une période de sept ans, sachant que le contrat de Sukleen, par exemple, ne portait que sur le fonctionnement et l’entretien, alors que les nouveaux entrepreneurs comptent construire des centres de traitement divers. Il précise que les prix qu’il a annoncés hier « englobaient le service de balayage, sachant que Sukleen n’offrait ce service que dans le Grand Beyrouth, pas au Mont-Liban, et que les nouveaux entrepreneurs devront traiter un plus grand volume de déchets et en enfouir bien moins en décharge». La comparaison des prix sans balayage donnerait donc les résultats suivants, selon un tableau fourni par le ministre : 121 dollars pour Sukleen contre, selon les résultats de l’appel d’offres (les prix les plus bas), 124 dollars pour Beyrouth, 123 pour le Kesrouan, 128 pour le Chouf, 134 pour le Nord, 104 pour le Sud et 112 pour la Békaa. Pour ce qui est des perspectives de solution temporaire, M.Machnouk confirme que l’option de décharge au Akkar est toujours sur le tapis, notamment après l’adoption d’une aide de 100 millions de dollars pour ce caza très défavorisé. Mais les habitants du Akkar continuent de refuser l’établissement d’une décharge dans leur région et menacent de recourir à la rue… « Je crois qu’ils pourraient décider de réviser leur position, mais rien n’est définitif », dit-il. « Jusqu’à quand allons-nous financer la corruption ? » Une décharge temporaire avec une prorogation du contrat de Sukleen, sans perspective de prise en charge par de nouvelles compagnies avant un an au moins, comme l’a déclaré hier à la LBCI le ministre Akram Chehayeb. Les « nuances » ne dupent personne, et surtout pas certains entrepreneurs qui ont laissé éclater leur colère hier. Lors d’une conférence de presse, Nehmat Frem, président d’Indevco, et Ziad Younès, représentant de Butec (les deux compagnies devaient remporter l’appel d’offres pour la région Metn-Kesrouan-Jbeil), se sont tous deux demandé « pourquoi les résultats des appels d’offres avaient été présentés de cette façon la veille, c’est-à-dire en incluant le balayage de rues, de façon à gonfler les prix proposés ». M.Frem a souligné que les frais de balayage avaient été ajoutés séparément par la compagnie à son dossier, étant donné qu’ils sont facultatifs et que les municipalités peuvent ne pas demander ce service. « Excepté ces frais, le prix par tonne que nous avons proposé est de 123 dollars, sachant que les compagnies précédentes avaient imposé un prix variant entre 150 et 160 dollars, a-t-il dit. Cela signifie que nous économisons 27 à 37 dollars par tonne, soit 29 000 à 39 000 dollars par jour sur 110 tonnes, soit plus de 10 millions de dollars par an, pour cette seule région. » Et d’ajouter : « Aujourd’hui, on se demande pourquoi cet appel d’offres a été annulé. Qu’est-ce que cela signifie ? Où allons-nous ? De nouveau à Sukleen et 160 dollars par tonne ? Jusqu’à quand continuerons-nous à financer la corruption au Liban ? » Pour sa part, M. Younès s’est déclaré « non surpris de l’annulation de l’appel d’offres, nous l’attendions depuis ce discours sur les prix élevés et la corruption ». « Annuler cet appel d’offres, c’est la corruption en soi, et c’est innocenter la compagnie qui continue de travailler dans le domaine des déchets », a-t-il poursuivi, rappelant qu’il s’agit là du huitième appel d’offres annulé depuis 2001. Un optimisme prudent Du côté de la place Riad el-Solh, où le Mouvement écologique libanais tenait un sit-in, l’annulation, même temporaire, des appels d’offres a été vécue comme une grande réalisation, mais avec prudence. Effat Idriss Chatila, présidente de l’association Cedar for Care, fait remarquer que « ce revirement n’est même pas une surprise, nous nous attendions à une telle comédie ». « Ils ont annulé les appels d’offres, mais ont-ils un plan de rechange ? se demande-t-elle. Chaque jour, cette crise de déchets nous coûte beaucoup, autant en pertes de matières recyclables qu’en dégâts pour l’environnement et pour la santé. De plus, personne n’assume sa responsabilité, personne ne démissionne. Le peuple libanais est otage de cette classe dirigeante. » Pour sa part, Paul Abi Rached, président du Mouvement écologique libanais, déplore que, malgré tous les échecs, les responsables ne cherchent toujours pas à coopérer avec la société civile pour régler le problème des déchets. « Comment, en plein milieu d’une réunion, le gouvernement décide-t-il soudain d’allouer cent millions de dollars au Akkar pour convaincre cette région de fournir un site de décharge ? se demande-t-il. Les gens sont désormais sensibilisés aux problèmes environnementaux, on ne peut plus leur raconter n’importe quoi. » Selon le militant de longue date, le refus de la privatisation est unanime au sein de la société civile. « Les prix proposés étaient de nature à affecter toutes les municipalités du Liban, elles qui pâtissaient précédemment du paiement des honoraires de Sukleen de la Caisse des municipalités », dit-il. Il rappelle que la solution peut être simple et rapide à mettre en place, par la création de centres de tri et de compostage au niveau des régions, ou par l’utilisation des centres de tri existants, avec un rôle de premier plan accordé aux municipalités. De l’urgence aux objectifs stratégiques Pour sa part, Habib Maalouf, journaliste et militant écologiste, ne peut s’empêcher de se dire « très satisfait » de l’annulation de cet appel d’offres, dont il a toujours dénoncé les importantes lacunes. « Mais ce n’est pas suffisant, poursuit-il. Cet appel d’offres avait de toute façon été totalement dépassé par la crise. Il faut mettre en place rapidement un nouveau plan qui combine entre objectifs stratégiques et urgence, parce que les déchets s’empilent dans les rues depuis plus d’un mois. » Par rapport aux objectifs stratégiques, « l’idée est de faire tout ce qui est possible pour réduire le volume de déchets, notamment par de nouvelles taxes sur certains produits, tels les emballages dont le recyclage est difficile », dit-il. « Il existe un projet de loi au Parlement qui peut être adopté rapidement, poursuit-il. Après tous les traitements divers, il restera environ 20 % de déchets dont le traitement demeure non disponible. Jusqu’à nouvel ordre, on peut juste les stocker, puisqu’ils ne causent pas de désagréments, dans des endroits ouverts. » Concernant les municipalités, il prône « l’adoption d’un plan central où celles-ci auraient un rôle, plutôt que de leur faire porter le fardeau entièrement ». Pour ce qui est du plan d’urgence, Habib Maalouf rappelle que, «dans une situation de gestion de crise, il faut recourir à la solution la moins nuisible. Voilà pourquoi je préfère que ces montagnes de détritus soient transportées vers des sites déjà dégradés plutôt que de détruire de nouveaux sites », estime-t-il.

Publisher: Lebanese Company for Information & Studies
Editeur : Société Libanaise d'Information et d’Etudes
Rédacteur en chef : Hassan Moukalled


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