Patricia KHODER| L’Orient Le Jour Les activistes ont été évacués, en fin de soirée, via une opération musclée des brigades antiémeute. Tout commence hier vers 13h15, quand une quarantaine d’activistes de la campagne « Vous puez ! » entrent dans les locaux du ministère de l’Environnement, dans l’un des blocs de l’immeuble des Lazaristes, au centre-ville, s’y installent et appellent à la démission du ministre Mohammad Machnouk, menaçant de ne pas quitter les lieux avant son départ. Le ministre, qui se trouve dans son bureau, décide, lui, de ne pas bouger et de poursuivre son travail. « M. Machnouk ne démissionnera pas », indique dans un entretien téléphonique avec L’Orient-Le Jour son conseiller en matière d’information, Saad Élias. À la question de savoir pourquoi le ministre n’a pas quitté ses fonctions lundi, quand il a présenté sa démission de la commission ad hoc chargée du dossier des déchets, M. Élias répond qu’il « existe d’autres dossiers au ministère à travailler ». De son côté, Wadih Asmar, président du Centre libanais des droits humains (CLDH) et activiste de la campagne « Vous puez ! », déclare à L’Orient-Le Jour : « La décision d’occuper le ministère a été prise lundi, mais nous l’avons gardée secrète pour que les forces de l’ordre n’entravent pas notre action. » Il rappelle les revendications du collectif – qui avait adressé samedi au gouvernement un ultimatum de 72 heures –, allant de la résolution de la crise des déchets jusqu’à la tenue d’élections législatives, en passant par la démission de M. Machnouk. Quelques heures plus tard, le ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, donne un délai d’une heure aux manifestants pour quitter les lieux, menaçant de les évacuer de force. Parallèlement, l’électricité est coupée dans le bâtiment. Les couloirs, dans lesquels sont installés les militants qui chantent l’hymne national et cirent «Dehors ! Dehors ! Machnouk dehors! », sont plongés dans l’obscurité, et une lourde chaleur, faute de climatisation. Vers 18h30, la brigade antiémeutes, dont les rangs grossissaient au fur et à mesure que le temps passait, passe à l’action et commence l’évacuation, par la force, des militants, de jeunes hommes et femmes. L’évacuation est musclée, les forces de l’ordre frappant les militants et les poussant dans les escaliers. Plusieurs activistes, dont Lucien Bou Rjeileh et Nehmat Badreddine, sont blessés et évacués sur des civières par la Croix-Rouge. Peu avant le début de l’opération d’évacuation, les journalistes présents à l’intérieur du ministère tout au long de l’après-midi avaient été chassés par la brigade antiémeute. Alors que sont diffusées, par les télévisions, les images de l’évacuation, la petite foule présente devant l’immeuble des Lazaristes commence à grossir. Les appels à la démission de Mohammad Machnouk mais aussi de Nouhad Machnouk se multiplient. Parmi les manifestants, des avocats, des architectes, des cadres et des consultants qui travaillent au centre-ville et qui sont venus soutenir les activistes. Interrogés par L’Orient-Le Jour, ils soulignent la justesse des demandes de la campagne « Vous puez ! », notamment le règlement des dossiers des ordures et de l’électricité, la lutte contre la corruption et la tenue de législatives. « Je ne veux pas que le ministre de l’Environnement parte, c’est l’un des hommes les plus modérés du gouvernement, mais je veux un changement, comme un commencement pour édifier un État de droit où les dirigeants rendent des comptes au peuple », explique un homme en cravate. Sami, consultant, rappelle les revendications de la campagne, à l’origine de plusieurs manifestations depuis deux semaines dans le centre-ville de Beyrouth, et met l’accent sur le facteur temps pour parvenir à de véritables changements. Il souligne aussi l’importance du dialogue pour arriver à une solution. Dans la petite foule, se trouvent aussi des manifestants qui reprennent des slogans entendus place Tahrir, au Caire, lors de la révolution de 2011 et qui ne collent pas aux revendications des activistes chargés de la campagne « Vous puez ! ». Certains, allant jusqu’à imiter l’accent égyptien, crient : « Le peuple veut le changement du régime » (al-Chaab Yourid Iskat al-Nizam), « Mon peuple, soulève-toi » (Intafed ya Chaabi), « Révolution » (Thaoura, prononcée en arabe littéraire). D’autres slogans rappellent le début de la guerre en Syrie, comme « Selmiyé » (Pacifique) ou encore « Horrié » (Liberté) et « Chabbiha » (hommes de main du régime). De nombreux manifestants appellent à un changement total du système dans le pays, à la mise en place d’un État laïc, la démission simultanée du gouvernement et du Parlement… Dans la foule, certains jettent des bouteilles d’eau sur les brigades antiémeute. Les heures passent. Dans le bâtiment du ministère, une quinzaine d’activistes sont toujours retranchés, malgré la première opération d’évacuation. Comme le ministre. Un émissaire du ministre de l’Intérieur est envoyé pour négocier avec eux. En vain. Certains activistes assurent être prêts à passer la nuit sur les lieux. L’affaire prend fin vers 22h00, quand les derniers activistes sont, eux aussi, évacués de force. Lorsque les forces de l’ordre ont obligé les correspondants des médias télévisés à évacuer le bâtiment du ministère de l’Environnement, Lucien Bou Rjeily a lancé un appel à l’aide à ceux qui le suivent sur sa page Facebook, à partir de son téléphone, seul moyen de communication avec le monde extérieur. « Voici la liste des personnes qui sont à l’intérieur. S’il vous plaît, aidez-nous. Nous sommes seuls. Ils vont entrer à tout moment », a-t-il écrit. Il a publié une liste de noms gribouillés sur une page déchirée d’un cahier. Son statut avait été « partagé », hier vers 21h, par près de 350 personnes. Le jeune homme espérait vraisemblablement une pression de la rue qui dissuaderait les forces de l’ordre de recourir à la force pour les obliger à sortir. Les Verts tentent en vain des négociations La présidente du parti des Verts, Nada Zaarour, s’est rendue hier au ministère de l’Environnement occupé par les activistes de la campagne « Vous Puez ! », dans le but d’entamer des négociations entre le ministre et les militants. Mais une altercation verbale a éclaté entre Mme Zaarour et les activistes à la fin de la réunion. « Les Verts ont les mêmes revendications que les activistes », a-t-elle lancé, mais ils « rejettent toute action qui prend l’État en otage ». « Que personne ne fasse de la surenchère. On n’a pas le droit d’attenter aux institutions de l’État », a-t-elle ajouté. Renforts sécuritaires autour du Sérail et de la mosquée al-Amine Les forces de l’ordre ont pris des mesures renforcées de sécurité autour du Grand Sérail, où une nouvelle barrière en métal a été érigée. Des mesures similaires ont été prises autour de la mosquée Mohammad el-Amine, place des Martyrs.