André Migifuloyo et Djuma Uweko ont vécu ensemble et travaillé ensemble à la protection des éléphants de République démocratique du Congo. En octobre dernier, ils sont morts ensemble, victimes de braconniers prêts à tout pour trouver de l’ivoire.

Dans la guerre que mène l’Afrique pour la survie de l’espèce, les gardes du parc national de la Garamba, aux confins nord-est de la RDC, à la frontière avec le Soudan du Sud, sont en première ligne.

André et Djuma avaient grandi dans la même petite ville congolaise de Dungu et avaient tous les deux une vingtaine d’années quand ils ont intégré le service forestier du parc, un emploi pérenne et bien payé (environ 180 euros par mois).

Le premier était devenu garde en 2011, le second deux ans plus tard. Ils étaient appréciés de leurs collègues et vivaient avec leur famille à Nagero, un village situé à l’entrée du parc, près de la rivière Dungu, avec sa petite église de briques rouges et ses maisons aux toits de chaume.

Pendant son temps libre, André, 26 ans, aimait regarder des films de guerre. Djuma, 27 ans, se plaisait à partager une bière avec des amis. Tous les deux avaient gagné une réputation d’individus disciplinés et braves.

Par un après-midi étouffant d’octobre, ils faisaient partie d’une patrouille de dix hommes tombée sur des braconniers dans le nord du parc.

Dès les premiers échanges de tirs, Djuma, armé d’une kalachnikov, s’écroula. André fut mortellement touché quelques instants plus tard par le tir d’un lance-grenade.

Djuma parvint à se cacher dans l’herbe épaisse, où il se vida de son sang, avant que les braconniers ne le trouvent et l’achèvent.

Un autre garde et un soldat congolais perdirent la vie ce jour-là.

Dieudonné Komorewa, âgé de 33 ans et garde depuis huit ans, était un cousin éloigné d’André et l’un de ses meilleurs amis.

«Je peux dire que c’était une personne disciplinée et courageuse», se rappelle-t-il. «C’était aussi quelqu’un de marrant.»

Le jour où son ami a été tué, ils étaient allés ensemble acheter des vêtements pour le futur enfant d’André. Désormais, Dieudonné considère le nouveau-né comme un membre de sa propre famille.

«J’aime tellement cet enfant», soupire-t-il. Le drame n’a pas altéré sa détermination. «L’ennemi est l’ennemi, et tout ce que nous faisons ici, c’est pour lutter contre eux. Nous ne devons pas avoir peur d’eux, nous devons toujours être prêts», dit-il.

L’ennemi n’est pas un bloc uniforme. Parfois, il s’agit de membres de la sanguinaire rébellion ougandaise de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA). Plus souvent de groupes armés sud-soudanais, d’éleveurs-nomades venus du Soudan ou de la Centrafrique, ou encore parfois de chasseurs non identifiés qui tuent un éléphant depuis un hélicoptère, d’une simple balle dans la tête.

Les braconniers n’hésitent pas à tuer. African Parks, organisation sud-africaine de défense de la nature qui cogère le parc avec les autorités congolaises, a donc fait appel à des instructeurs militaires et s’est dotée d’un hélicoptère.

Les 120 gardes – un quart de ce qu’il faudrait pour surveiller efficacement les 12.400 km2 du parc – ressemblent de plus en plus à la force paramilitaire qu’il leur faut être pour gagner la guerre de l’ivoire.

En 2015, il y a eu 28 fusillades recensées avec les braconniers. Quatre gardes ont été tués et 114 éléphants abattus, soit près d’un dixième de ceux qui restent dans la Garamba.

Quarante ans plus tôt, le parc abritait 23.000 éléphants et près de 500 rhinocéros blancs du Nord. Le dernier rhinocéros a été tué il y a dix ans et les gardes se battent pour éviter que les éléphants ne subissent le même sort.

Sur le champ de tir, taillé dans l’épaisse végétation, les instructeurs de la compagnie de sécurité sud-africaine Noctuam travaillent à faire des gardes des tireurs d’élite.

Un an plus tôt, ils tiraient encore l’arme à la hanche, ou au-dessus de la tête, comme dans les films de gangsters. Aujourd’hui, ils s’accroupissent, les pieds fermement campés au sol, prennent le temps de viser et de respirer avant d’appuyer sur la gâchette.

Le conseiller sécurité du parc, Peter Philippot, un ancien militaire français, explique que trouver des armes et des munitions est sa priorité. Son arsenal est essentiellement composé de kalachnikovs usées, mal adaptées à la forêt et aux hautes herbes.

«Dans la brousse, vous ne voyez rien au-delà de 20 m, et la plupart des combats se livrent à dix mètres. Il nous faut des fusils à canon scié», dit-il.

L’hélicoptère – un Ecureuil de conception française, d’une valeur d’1,8 million d’euros – vient d’une donation faite par Howard Buffett, fils du milliardaire américain Warren Buffett.

Il avait été touché par des tirs et presque abattu, avant de pouvoir évacuer les gardes survivants, en cette fatale journée d’octobre.

La guerre est sans merci. Les braconniers qui ont tué André et Djuma les ont déshabillés, dépouillés et ont laissé leurs corps pourrir au soleil. Il a fallu quatre jours aux gardes pour les récupérer et les enterrer.

Dieudonné va une ou deux fois par mois sur la tombe de son ami, pour y enlever les feuilles qui s’amassent. Malgré la douleur, jamais il n’a envisagé d’abandonner. «Je pourrais mourir en faisant de la moto», philosophe-t-il. «La mort est partout.»

 

AFP

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