Partir habiter en Syrie en proie à la guerre plutôt que près d’une décharge aux odeurs putrides: c’est la décision prise par une famille libanaise vivant au pied d’une montagne d’ordures immondes au sud de Beyrouth.
Dans leur modeste maison de deux étages donnant sur la tristement célèbre déchetterie de Naamé, Fayyad Ayyach, sa femme Riham et leurs quatre filles se réveillent et se couchent tous les jours au milieu des odeurs nauséabondes.
Alors que des centaines de milliers de familles ont trouvé refuge au Liban pour fuir les combats en Syrie, la leur a décidé de traverser la frontière et de s’installer dans le village de Libbine, dont est originaire Riham, dans l’espoir que l’air des plaines fera du bien aux enfants.
« Nous partons la semaine prochaine », affirme à l’AFP Fayyad qui sera hébergé avec les siens chez sa belle-famille. « En Syrie, il se peut que je meure. Mais ici, je vais sûrement mourir. »
Depuis l’arrière-cour, on peut voir, et sentir, les tonnes de déchets déversés par des camions sur la « montagne de poubelles ».
La fermeture de la décharge de Naamé en juillet 2015 est à l’origine d’une importante crise au Liban: les poubelles non ramassées pendant des mois ont envahi les rues de la capitale et les montagnes environnantes.
Sous la pression de la rue, le gouvernement a pris en mars la décision controversée de rouvrir la déchetterie, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase pour les habitants du secteur, comme Fayyad.
Toute la famille souffre depuis des mois de problèmes respiratoires, raconte le père de famille, un inhalateur bleu à la main. Ses filles, âgées de deux à dix ans, ont également des troubles digestifs et du sommeil.
« La nuit, c’est encore pire que la journée. Toute l’atmosphère s’emplit de cette même puanteur », soupire-t-il.
La décharge de Naamé, ouverte en 1997, devait être une solution temporaire mais aucun site alternatif n’a été trouvé.
Ainsi pendant 20 ans, tous les déchets générés par Beyrouth et le Mont-Liban –les plus importantes agglomérations de population dans le pays– ont été déversés à Naamé.
La vallée verdoyante qu’elle était s’est progressivement transformée en une immonde montagne de plus de 15 millions de tonnes d’ordures.
Des habitants furieux et exaspérés, se plaignant de taux de cancers élevés, de problèmes respiratoires et de maladies de la peau, ont provoqué la fermeture en juillet 2015 de la décharge en empêchant les camions d’y accéder.
Beyrouth et les régions avoisinantes se sont alors retrouvées noyées par des fleuves de déchets et des milliers de manifestants ont battu le pavé dans le centre-ville pour réclamer une solution durable à cette crise inédite.
Huit mois après, « quand la décharge a rouvert, mon bébé s’est immédiatement remis à vomir », raconte Fayyad.
Riham dit dépenser environ 1.000 dollars (800 euros) par mois pour les visites chez le médecin, les inhalateurs et les médicaments pour ses enfants et confie qu’elle a dû vendre sa bague de mariage pour couvrir les coûts.
Fayyad et sa femme syrienne sont tous deux de confession druze, une ramification de l’islam chiite.
La province de Soueida, berceau des druzes en Syrie où la famille s’apprête à déménager, a subi des attaques des jihadistes du groupe Etat islamique mais elle reste plus épargnée par les combats que d’autres régions du pays.
« Ce n’est pas un endroit sûr mais je suis forcée de partir. La valise est prête et rangée au dessus de l’armoire », soupire Riham.
Pour Farouk Merhebi, de l’Université américaine de Beyrouth (AUB), les odeurs des déchets ont rendu la vie terriblement inconfortable pour les 810 personnes habitant à moins d’un kilomètre de la décharge.
Avant le début de la crise, les camions déversaient quotidiennement entre 2.800 et 3.000 tonnes de déchets par jour à Naamé, souligne M. Merhebi, directeur du département de santé environnementale et de gestion des risques à l’AUB.
« Aujourd’hui, c’est 8.000 à 9.000 tonnes. Les opérations ont pratiquement triplé parce qu’il faut rattraper le retard pris », souligne-t-il. Les poubelles non ramassées pendant huit mois « ont fermenté et l’odeur en est devenue encore plus agressive ».
M.Merhebi fait partie d’une équipe à l’AUB qui œuvre pour le financement d’une enquête permettant de « tester (la qualité de) l’eau en surface et souterraine, et des échantillons du sol et de l’air ».
Mais Fayyad et sa famille ne peuvent plus attendre. « La famille de Riham pensait venir au Liban », dit-il. « Mais nous leur avons dit: +Vous voulez mourir de puanteur+?»
AFP