À plus de 80 ans, le journaliste est l’invité de François Busnel sur France 5 pour son livre Au secours ! Les mots m’ont mangé (Allary Éditions). Une déclaration d’amour à la langue française par le créateur d’Apostrophes, Bouillon de culture et Double Je.

Pourquoi écrire la vie d’un écrivain quand on est critique littéraire? Y a-t-il un peu de vous dans ce personnage?

La biographie de cet écrivain est un prétexte pour parler du monde littéraire que je connais bien, une sorte d’arlequinade sur les grands moments de la vie d’un écrivain. Contrairement à moi, il a fait normal sup, il est agrégé de lettres, il écrit des romans, mais il me ressemble dans sa relation avec les mots. Mon premier livre a été un dictionnaire, pas un roman. C’était pendant la guerre, on prenait ce que l’on avait sous la main, ce fut un Larousse, pas un Littré! Quand j’écris, je maîtrise les mots, mais, de temps en temps, les mots me gouvernent. On ne règne pas sur le peuple des mots, et les mots ont un certain pouvoir sur notre intellect et sur notre vie. Ils savent s’imposer avec beaucoup de malignité et de force. Certains ont un pouvoir de nuisance.

Au point que vous n’en dormiez pas la nuit?

La nuit, il m’est souvent arrivé de réécrire ce que j’avais rédigé dans la journée et de trouver que c’était nul, mais au réveil je n’étais toujours pas satisfait!

Présenter vos livres sur scène ou écrire un livre pour la scène, qu’est-ce qui vous plaît dans cette démarche?

Jean-Michel Ribes m’a proposé d’écrire Au secours! Les mots m’ont mangé pour le théâtre du Rond-Point. Il m’a dit: «Quand tu faisais Apostrophes, tu lisais très bien les textes des autres, alors tu devrais très bien lire les tiens! En plus tu y prendras du plaisir». Il ne s’était pas trompé. Les rires, les applaudissements, c’est très agréable, encourageant. Je ne suis pas un comédien, mais c’est une expérience nouvelle d’être en contact avec 200 à 700 spectateurs. À la télévision, j’avais 1 à 3 millions de téléspectateurs, mais je ne les voyais pas. Et puis, écrire pour la scène oblige à couper, à employer un langage facile à parler. Si un comédien s’en emparait et le disait à sa manière, ce serait amusant. En attendant, je suis quatre fois par mois en tournée.

Vous êtes également un infatigable twitteur, un abonné quotidien des 140 signes, pourquoi?

Tweeter est à la fois un exercice de style et de communication. C’est très excitant d’exprimer une idée, un sentiment en moins de 140 signes. Pour autant, Twitter est mon seul réseau social. Les réseaux sociaux ont l’avantage de donner la parole au peuple, mais, le revers de la médaille, ce sont les excès, les messages qui relèvent des tribunaux.

Vous n’avez jamais été tenté d’envoyer un uppercut?

J’ai choisi d’être un moralisateur souriant.

Êtes-vous un partisan du tout-écran?

L’écran est pratique, mais n’a pas la sensualité du papier. Je suis un bouffeur de papier, je vais au kiosque à journaux matin et après-midi. J’aime me salir les mains, le bruit du papier.

Vous qui avez remis au goût du jour la dictée, que pensez-vous de la réforme de l’orthographe, vingt-six ans après?

Il y a vingt-six ans, des écrivains de droite comme de gauche, Michel Tournier et Claude Mauriac sont montés sur leurs grands chevaux. Certaines rectifications comme un seul «n» à résonner pour l’unifier à résonance ont du sens. Mais s’attaquer à l’accent circonflexe et au trait d’union, c’est dénaturer la langue française. C’est une atteinte à l’esthétique de la langue, elle n’a plus la même image, la même apparence. On visualise très bien le tire-bouchon plongeant d’un seul tenant dans la bouteille, quand il a un tiret. Dans mon livre je m’amuse à faire des propositions, car les mots ont une sensualité, une poésie et une sonorité. Une libellule possède quatre ailes et quatre «l». C’est magnifique cette alliance de la biologie et de l’orthographe. Et certains mots sont savoureux comme croquembouche, sauce ravigote ou fleuris comme campanule ou dame-d’onze-heures.

Les enfants et les parents vont-ils écrire différemment?

Les enfants pourront écrire quelque 2.500 mots comme ils le veulent et, selon leurs lectures, leur orthographe différera. Cela va créer un désordre, désorienter ceux qui ont le plus de difficultés.

Existe-t-il des mots ridicules?

Des mots ridicules, non. Il existe des mots chargés de sens terrible comme «haine», «vengeance», «guerre» et des mots pas beaux comme «concupiscence».

Quel est votre mot préféré?

«Aujourd’hui», le mot du journalisme dans lequel nous puisons nos articles. Il sent le café et le pain grillé du matin. J’aurais pu dire «actualité», mais je préfère «aujourd’hui», car il contient une apostrophe en son centre, avec son double sens, celui de l’écriture et de la conversation.

Un mot magique?

«Amour.»

Est-ce le moteur de votre vie?

Mon moteur, c’est vivre! Mais aussi la curiosité, c’est ce qui fonctionne le mieux en moi. Il ne faut jamais perdre la curiosité pour le monde, sa famille, ses voisins, rester en alerte pour s’enrichir le plus possible.

Qu’aimeriez-vous que Dieu vous dise?

«Ah Pivot! je suis content de vous voir, expliquez-moi donc la règle d’accord du participe passé des verbes pronominaux, car, tout Dieu que je suis, je n’y ai jamais rien compris! Vous entrerez au paradis en grammairien…» J’aimerais entrer au paradis en amoureux des mots, en particulier du mot «paradis».

Et que diriez-vous à Dieu?

Je préfère que ce soit le Seigneur qui me parle mais… pourquoi pas… «On mange à quelle heure?»…

 

Source: Isabelle Mermins

Le Figaro

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