ANTOINE FRÉROT – Notre métier historique, c’est le traitement des déchets, qu’il s’agissait à l’origine de rendre inoffensifs, souvent en les détruisant.
Le recyclage n’a débuté qu’il y a une vingtaine d’années, avec le papier. Mais il répond aujourd’hui à plusieurs enjeux à la fois économiques, démographiques, sociaux et environnementaux. Entre 1900 et 2000, en valeur constante, le prix des matières premières a été divisé par deux. Mais entre 2000 et 2013, il a de nouveau été multiplié par trois ! Et cette évolution devrait se poursuivre avec la hausse de la demande, portée par la croissance démographique et l’évolution des pays en développement.
Il se peut qu’il y ait des baisses temporaires, mais des milliards d’habitants sur Terre, qui ne vivent pas encore comme ils le devraient, consommeront de plus en plus de matières premières. Cela provoquera des « phénomènes de rareté ». D’après les calculs de l’économiste spécialiste des matières premières Philippe Chalmin, hors recyclage et sur la base des réserves connues en 2009, l’étain sera épuisé d’ici à 2026, le plomb en 2029, l’or en 2030, etc.
Sur le plan de l’environnement, une tonne de plastique recyclé, ce sont 830 litres de pétrole économisés ; une tonne de papier, 100 mètres cubes d’eau et dix-neuf arbres… Les économies d’énergie sont souvent très significatives, puisque le recyclage permet d’éviter la phase amont de production des matières premières. Les déchets représentent la première mine de matières premières du xxie siècle, et elle se trouve chez nous, dans les pays développés. L’exploiter au mieux permettra de répondre à de nombreux enjeux en termes d’attractivité économique, de balance du commerce extérieur, d’emplois, d’environnement et de maîtrise des coûts des matières premières, en anticipation d’une nouvelle envolée des cours.
Investir dans le recyclage revient en effet à parier sur la hausse des cours. Or, ceux-ci enregistrent plutôt une baisse, depuis quelques mois…
La responsabilité des entreprises, c’est de prendre leur risque et de s’adapter. Mais sous réserve que l’on admette que le développement économique est souhaitable, la hausse des prix des matières premières sur les moyens et longs termes va dans le sens de l’histoire. Par ailleurs, les progrès sont constants dans le domaine du recyclage. Pas seulement sur les matières, mais aussi sur l’eau ou l’énergie, notamment sur la chaleur grâce à la récupération de chaleur fatale en sortie d’usine, d’égouts, dans les centres de données… Concernant la matière, dans le meilleur des cas on opère une récupération matière, sinon on la transforme en énergie. Il s’agit alors d’une énergie renouvelable, dont l’utilisation contribue à abaisser les émissions de gaz à effet de serre.
Quel est le degré de maturité dans le recyclage des principales matières premières ?
On atteint aujourd’hui des taux très significatifs pour certaines matières : 90% au niveau mondial pour le papier carton, récupéré à l’aval des usines ; 70% pour le verre européen ; 90% pour l’aluminium ; 85% pour les métaux ferreux, etc.
D’autres produits commencent tout juste à être recyclés, tels que les huiles de moteur, les huiles alimentaires ou les déchets organiques. Presque 100% des huiles de moteur sont aujourd’hui récupérées en France, dont la majorité est recyclée, et le solde transformé en énergie. Malheureusement, cette deuxième option reste parfois plus rentable pour les récupérateurs, en raison de différences de fiscalité entre pays. Pour le mercure des ampoules ou les solvants, les taux de recyclage atteignent déjà 20%.
Sur quelles nouvelles matières travaillez-vous actuellement ?
Sur certains produits très particuliers, nous avons développé des savoir-faire spécifiques. Ainsi, grâce à nos usines de traitement des déchets dangereux, nous avons développé des compétences pour recycler le lithium, sous une forme directement réutilisable dans les batteries. Le marché n’existe pas encore vraiment, puisqu’il y a aujourd’hui encore très peu de batteries au lithium parvenues en fin de vie. Mais le potentiel est important puisqu’elles sont utilisées pour de nombreux usages : appareils nomades, voitures électriques, stockage d’énergies renouvelables, etc.
Pour le plastique, cela reste très compliqué. Pour pouvoir être recyclés, les différents types de plastiques – le PET des bouteilles, le polyéthylène, le polypropylène, etc. -doivent être séparés, en utilisant des méthodes de tri les moins onéreuses possible. Nous avons acquis en 2015 la société néerlandaise AKG pour nous procurer un savoir-faire sur le tri et le recyclage du polypropylène, et conforter notre position d’acteur de référence de la production de matières premières recyclées.
Dans la ferraille ou les huiles de moteur, l’équation économique globale est déjà solide. Pour le plastique, qui représente 10% des déchets produits dans le monde et dont les usages continuent de s’étendre en remplacement des métaux, notamment via les matériaux composites utilisés par exemple dans la construction aéronautique, nous sommes au milieu du gué.
Quels sont les prérequis avant de développer une nouvelle activité ?
Pour mettre en place un circuit complet de recyclage, il faut pouvoir assurer la régularité de l’approvisionnement. La qualité des produits doit être stable, idéalement identique à celle de la matière première vierge, et on doit en garantir la traçabilité, ce qui a des implications fortes en termes de logistique.
Avant de mettre en place un tel circuit, chaque produit fait l’objet d’une étude technique, d’une étude de coûts, d’une étude de marché… notamment pour vérifier la compétitivité économique de la valeur recyclée.
Les clients pour les matières recyclées ne sont en général pas les mêmes que nos clients historiques. Parfois nos partenaires utilisent leurs propres circuits de distribution, comme le fait Total pour les huiles de moteur que nous recyclons, sinon il nous faut mettre en place de nouveaux réseaux commerciaux.
Quel est le degré de coopération avec vos clients et comment se fait le partage de la valeur ?
Le partage de la valeur se décide en amont de la coopération, avant de savoir combien de valeur celle-ci va réellement créer. Lorsqu’il s’agit de prototypes, l’implication des industriels va jusqu’à l’équipement en machines-outils adaptées à ces nouvelles matières, voire à l’écoconception, qui prend en compte, dès l’amont de la fabrication, le recyclage de la matière utilisée.
C’est ce que fait SEB, qui utilise du plastique recyclé pour l’un de ses modèles de centrale à vapeur, et avec lequel nous avons d’autres projets. Un autre de nos clients, le fabricant de moquettes Desso, pratique également l’écoconception, et va même plus loin : en louant ses revêtements de sols, il est devenu fournisseur de service plutôt que de produit.
Sait-on évaluer les emplois créés par les activités de recyclage ?
Les estimations à ce sujet sont de plus en plus fiables et convergentes. On peut citer celle de l’Imperial College, qui évoque la création de 175.000 emplois au Royaume-Uni, en dix ans ; ce qui correspond à environ 1,5 million à l’échelle de l’Union européenne. Accenture pour sa part cite le chiffre de 6 à 7 millions pour la Chine. En France, c’est de l’ordre de 150.000 à 200.000 emplois que l’on peut espérer dans les dix ans qui viennent.
En moyenne, le recyclage emploie de six à vingt fois plus de main-d’oeuvre que le traitement de déchets classique et contribue à la création d’emplois non délocalisables.
Que représente aujourd’hui le recyclage dans l’activité globale de Veolia ?
Aujourd’hui, nos activités d’économie circulaire pèsent 2,5 milliards d’euros, sur un chiffre d’affaires total annuel de 25 milliards. Notre objectif est de les faire croître de 10% par an pour atteindre 3,8 milliards en 2020.