Dans une maternité de Freetown, Isatu Koroma, 15 ans, tient dans ses bras son bébé qui pleure. Le phénomène des grossesses précoces, déjà répandu en Sierra Leone, a explosé avec l’épidémie d’Ebola, selon des spécialistes.

En nage et prise de vertiges, Isatu attend un don de sang après un accouchement difficile, explique Josephine Samba, l’infirmière en charge de cette section du Princess Christian Maternal Hospital (PCMH), à une équipe de l’AFP qui s’est rendue dans cet établissement spécialisé dans la santé maternelle et infantile.

Aucun des membres de la famille de l’adolescente – orpheline de mère depuis l’âge de deux mois – censés lui donner leur sang ne s’est montré, laissant au personnel de santé le soin de subvenir également à son alimentation.

Le cas d’Isatu n’est pas isolé: des écolières enceintes sont régulièrement admises dans l’établissement, souligne Mme Samba.

Les personnels de santé font face à une explosion de grossesses précoces qui a culminé au plus fort de l’épidémie d’Ebola, dont le dernier épisode en Sierra Leone -le pays comptant le plus grand nombre de cas- s’est achevé en mars. Et la tendance ne semble pas baisser, relèvent des experts.

« Il y a eu beaucoup plus de grossesses d’adolescentes durant l’épidémie », contractées « pour la plupart dans l’environnement familial », alors même que « les écoles étaient fermées », avance Josephine Samba. Les établissements scolaires, fermés à l’été 2014, au plus fort de l’épidémie, n’ont rouvert dans le pays qu’en avril 2015.

Dans leur lutte contre le virus, les autorités ont pris des mesures d’exception draconiennes et controversées, notamment de mises en quarantaine de populations, allant jusqu’à un confinement général à deux reprises, en septembre 2014 puis en mars 2015.

Déjà vulnérables par manque d’éducation sexuelle, de nombreuses jeunes filles ont été violées alors qu’elles étaient contraintes de rester à la maison ou réduites à la prostitution pour contribuer aux revenus de leur famille, d’après une enquête d’organisations caritatives et d’agences internationales de protection de l’enfance publiée en mars.

Depuis l’annonce, en mai 2014, du premier cas d’Ebola en Sierra Leone, le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP) a ainsi dénombré plus de 18.000 adolescentes enceintes, avec des taux atteignant 65% dans certaines provinces.

Or le pays affiche le pire taux de mortalité maternelle au monde (1.360 décès maternels pour 100.000 naissances vivantes, selon l’ONU) et le FNUAP estime que les moins de 18 ans représentent 40% de ces décès.

Ces drames sont liés à plusieurs facteurs, dont l’absence de contrôle des naissances et des lois conservatrices contre l’avortement.

Quand certaines élèves découvrent leur grossesse, par peur d’être exclues de l’école, elles tentent de l’interrompre en absorbant des mélanges de médicaments ou de produits chimiques, ou subissent des avortements clandestins dans des conditions rudimentaires.

Louise Nordstrom, une sage-femme suédoise qui travaille dans un programme de formation d’accoucheuses mené par le FNUAP au PCMH, y a récemment vu arriver une adolescente avec de graves maux de ventre qui a, peu après, expulsé un fœtus mort dans une cuvette de toilettes amovible.

« Il était évident qu’elle avait pris des médicaments chez elle. Elle se savait enceinte, elle avait peur et ne voulait pas du bébé. Donc elle a provoqué elle-même son avortement », explique la praticienne.

Alimamy Philip Koroma, un des plus fameux gynécologues obstétriciens du pays, souligne que beaucoup d’adolescentes tardent à solliciter une assistance médicale, certaines par méconnaissance des risques liés aux grossesses précoces, d’autres « par peur d’être vues par leurs camarades ».

« Parfois, leur bassin pelvien n’est pas assez formé » pour enfanter, indique le Dr Koroma, citant les risques accrus d’hémorragies et d’infections après une tentative d’avortement clandestin.

Les adolescentes qui survivent à l’accouchement ont peu d’options: certaines pourront retourner à l’école mais beaucoup manqueront d’aide pour s’occuper de leur bébé aux heures de cours.

En témoigne Neima Foday, 19 ans, rencontrée par l’AFP à Kailahun (est) avec, sur ses genoux, son bébé de 13 mois prénommé Ishmail: « Avant la réouverture des écoles, il était petit et tétait. J’étais la seule à m’en occuper », dit-elle. « Je suis un peu inquiète parce que mes amis vont à l’école et pas moi ».

Privée d’éducation, Neima Foday ne peut même pas compter sur le père de son enfant pour subvenir à ses besoins, confie-t-elle: « Je ne l’ai pas revu depuis que je lui ai dit que j’étais enceinte ».

 

AFP

 

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