On les prendrait pour des myosotis, mais les petites fleurs bleues qui poussent près de la nécropole de Douaumont ne sont en France que depuis un siècle, arrivées sous les sabots des chevaux venus faire Verdun. Aujourd’hui symboles d’une forêt créée par la guerre.

«Du coup, on l’appelle l’herbe aux yeux bleus du Montana», sourit Patrice Hirbec. Chargé de mission pour la biodiversité à l’Office national des forêts (ONF), il s’émerveille encore de la particularité de la forêt de Verdun, terre saccagée par les combats pendant la Première Guerre mondiale devenue un havre de biodiversité.

Si la flore et la faune sont si spéciales, c’est que le sol a subi, entre 1914 et 1918, l’équivalent de 10.000 ans d’érosion naturelle, explique Jean-Paul Amat, professeur de géographie, spécialiste des forêts de la Grande Guerre, qui a travaillé avec l’ONF sur le label «Forêt d’exception» obtenu par le bois en 2014.

Avec un tel retournement de terre, «la flore s’est adaptée», résume M. Hirbec. Sur certains talus, le sol était si sec que du thym s’est mis à pousser, comme sur les bords de la Méditerranée. Ailleurs des poiriers apparaissent, vestiges des vergers détruits par la bataille ou témoins des habitudes alimentaires des Poilus.

Pour ce qui est des Allemands, ils apportaient tout, raconte Stéphanie Jacquemot, archéologue à la Drac (Direction régionale des affaires culturelles) de Lorraine. C’est d’ailleurs pour cela que la gentiane, que l’on ne trouve pas en Lorraine, s’épanouit autour de Verdun: plus pratique pour l’eau-de-vie.

Dans les trous d’obus, des mares se sont installées, qui abritent des batraciens: tritons crêtés, mais aussi, plus rares, des sonneurs à ventre jaunes, une espèce «vulnérable».

«Il y a 15 espèces de fougères, des orchidées en mai et juin…», décrit Patrice Hirbec en se penchant pour ramasser un bout de ferraille, qu’un œil peu habitué confondrait avec de la glaise. C’est un éclat d’obus.

Les forts, eux, hébergent des chauves-souris, qui nichent dans leurs aérations. Au-dessus de celui de Douaumont, pilonné des semaines durant par l’aviation allemande, des hirondelles rustiques planent. Ces oiseaux au dos bleuté sont une espèce protégée.

Derrière les hirondelles, on peut, depuis le fort, observer la forêt à 360 degrés. Le vert clair des jeunes feuillus se mêle au vert sombre des pins plantés après le conflit.

Dès la fin de la guerre, alors que 20.000 hectares de la Meuse sont ravagés, ce sont les forestiers qui proposent de reboiser les «zones rouges», celles – l’Etat l’a décidé au lendemain de l’armistice – sur lesquelles plus personne ne vivra.

La terre, labourée par les millions d’obus qui s’y sont abattus, manque d’humus par endroits et il faut donc reboiser en conséquence. Des milliers de pins noirs d’Autriche, résistants et adaptés au nouvel état du sol, sont plantés: le pays vaincu a proposé de payer une partie de sa dette de guerre en semences.

Entre 1923 et 1931, 36 millions d’arbres sont ainsi plantés au milieu des abris allemands et français, des tranchées et des corps.

Aujourd’hui, sous les orchidées et les pins, environ 80.000 soldats reposent encore.

«Cette forêt est le linceul de 350.000 morts, elle les abrite», explique M. Hirbec. «C’est aussi leur rendre hommage que de la visiter et d’en prendre soin».

C’est pour que ce caractère historique soit préservé que l’ONF, avec le département et la Fondation du patrimoine, viennent de lancer une souscription populaire pour aménager des sentiers – à travers les tranchées, les villages détruits, les vestiges d’ouvrages militaires – et conserver la mémoire de la guerre.

 

AFP

Publisher: Lebanese Company for Information & Studies
Editeur : Société Libanaise d'Information et d’Etudes
Rédacteur en chef : Hassan Moukalled


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