Les uns construisent un mur pour protéger leurs travaux, les autres entendent faire du village le centre de la lutte contre le nucléaire : à Bure (Meuse), la bataille autour de l’enfouissement des déchets radioactifs français semble partie pour durer.
Il faut dire que depuis le début des travaux du laboratoire souterrain de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) il y a 16 ans, le dialogue entre opposants et tenants du projet est – au mieux – un dialogue de sourds.
Ces derniers temps, les désaccords se règlent plutôt par gendarmes interposés : le 7 juillet, les forces de l’ordre ont expulsé des opposants du bois Lejuc, où l’Andra a commencé des travaux préparatoires. Ils les ont à nouveau chassé le week-end dernier, après une invitation festive de réoccupation lancée depuis la « Maison de la Résistance ».
C’est dans une rue de Bure, petit village coincé entre la Meuse et la Haute-Marne, que se retrouvent les militants antinucléaires, décidés à en faire le « point de ralliement de la lutte contre le nucléaire ».
En ce moment il y a une soixantaine de personnes, estiment Paul, Balthazar et Sylvain – des surnoms -, assis au soleil en face de la maison, régulièrement interrompus par les départs et arrivées d’autres militants.
A l’intérieur, une bonne moitié de « nouveaux »: « Ils apportent de nouvelles énergies, de nouvelles idées. Un nouveau souffle », expliquent-ils.
Venus de différentes mouvances – écologistes, militants arrivés de la lutte contre l’aéroport de Notre-Dame-des- Landes, personnes « récemment politisées par Nuit Debout », ultragauche – chacun apporte son « savoir-faire » pour un combat qui s’annonce long. « On est parti pour 130 ans de lutte », sourit Sylvain.
Du « sang neuf » pas inutile, alors que le projet, déjà vieux de vingt ans, n’a pas encore reçu l’autorisation finale du gouvernement – même si une loi votée le 11 juillet grave un peu plus dans le marbre Cigéo (le centre industriel de stockage géologique), dont la construction commencera à l’horizon 2021, si le projet est définitivement adopté, en 2018.
A terme, Cigéo doit permettre l’enfouissement à Bure des déchets les plus radioactifs, ainsi que ceux ayant la durée de vie la plus longue – soit 4% des déchets du parc nucléaire français, ou 80.000 m3 – à 500 mètres sous terre.
Pour l’heure, le seul point visible de l’avancée des travaux est le bois Lejuc, récemment acquis par l’Andra.
C’est là que seront installées les cheminées d’aération des kilomètres de galeries souterraines dans lesquelles seront stockés les déchets.
En attendant 2018, l’Andra a déjà commencé des forages, des «travaux préliminaires », explique Jean-Paul Baillet, n°2 de l’agence. « Un peu comme pour demander un permis de construire », argue le directeur du site de Meuse/Haute-Marne, qui déplore des « centaines de milliers d’euros » de dégâts lors de l’occupation du bois.
Seule point qui le relie peut-être aux opposants, Jean-Paul Baillet n’hésite pas à parler de « cochonneries » pour évoquer les déchets nucléaires. « Si les ingénieurs avaient la possibilité de tout faire disparaître d’un claquement de doigts, ils le feraient ! », mais nulle Mary Poppins à l’horizon, alors « il n’y a pas mieux que Cigéo », affirme-t-il.
Les installations sont sûres, insiste-t-on à l’Andra: les déchets seront stockées 490 m sous terre, au milieu d’une couche de roche argileuse. Et s’ils venaient à s’échapper de leur contenant – hypothèse plus qu’improbable, assurent les ingénieurs -, les déchets n’atteindraient la couche calcaire qu’au bout de milliers d’années, donc sans plus aucune radioactivité.
Pas de quoi convaincre Charlotte Mijeon, de l’organisation Réseau sortir du nucléaire, pour qui « l’enfouissement, c’est une option à écarter ». Et de lister le risque d’éboulement, l’impossibilité, selon elle, une fois les galeries souterraines fermées, de ressortir les déchets, ou encore les risques d’explosion ou d’incendie – comme dans le centre militaire d’enfouissement de déchets au Nouveau-Mexique aux Etats-Unis en 2014.
« L’urgence, c’est de s’attaquer à la production de déchets. Pas d’accélérer ce projet-là », ajoute la militante.
L’urgence, vue de la Maison de la Résistance, c’est surtout de ralentir les travaux. En multipliant les fronts: en justice, autour du bois, à travers la France. En « mettant un coup de projecteur qui fasse de Bure un village de résistance ».
AFP