La thermosphère de Jupiter est presque aussi chaude que celle de la Terre alors que la planète est cinq fois plus éloignée du Soleil. L’énigme du chauffage de cette partie supérieure de l’atmosphère de la géante est peut-être sur le point d’être résolue grâce à la découverte d’une région aussi chaude que de la lave au-dessus de la Grande tache rouge.
Comme leurs collègues dans la mission Voyager, à laquelle ils participaient, André Brahic et Carl Sagan ont dû être surpris quand la sonde a permis d’estimer la température de la thermosphère deJupiter en 1979. Il s’agit d’une partie de l’atmosphère supérieure de la planète, à 500 km au-dessus du niveau des nuages. Les calculs basés sur l’apport d’énergie du rayonnement solaire avaient conduit à estimer cette température à environ 200 kelvins. Elle pouvait atteindre de 800 à 1.000 kelvins, de quoi largement faire fondre du plomb si la densité et la pression n’étaient pas si basses à cette altitude. Ce fait étrange a été confirmé depuis par la sonde Galileo qui a aussi pu mesurer les variations du profil de température avec l’altitude lorsqu’elle a fini sa vie en étant précipitée par les navigateurs interplanétaires de la Nasa dans l’atmosphère de la géante gazeuse.
Cela fait presque 40 ans que les planétologues spécialisés dans l’atmosphère des planètes cherchent à comprendre l’origine de cette température. Plusieurs idées ont été proposées au fil des années dans le but de résoudre ce qui a été nommé la « crise de l’énergie » pour Jupiter. On sait par exemple que la thermosphère de Jupiter est le lieu où se produisent les spectaculaires aurores de la planète. Les courants peuvent bien sûr dissiper de la chaleur par effet Joule et l’on pouvait donc penser que c’était là le mécanisme expliquant l’énigme de la température de la thermosphère. Mais Jupiter tourne rapidement sur elle-même, en moins de 10 heures alors que son diamètre est de l’ordre de 140.000 km. On a pu montrer que cela avait pour effet de bloquer la propagation de la chaleur générée par les aurores. Elle reste donc au niveau des pôles.
Une équipe d’astrophysiciens des universités de Boston (USA) et Leicester (Angleterre) vient de publier dans le journal Nature un travail basé sur de nouvelles mesures de la température de l’atmosphère de Jupiter, mais depuis le sol cette fois-ci, à l’aide de l’Infrared Telescope Facility ou IRTF de la Nasa. Il s’agit d’un télescope infrarouge de trois mètres de diamètre, situé au sommet du Mauna Kea, entré en service en 1979 pour aider l’agence spatiale à préparer ses missions spatiales dans le Système solaire.
Observés en infrarouge, les pôles de Jupiter sont particulièrement brillants mais on devine aussi, en bas sur cette image, la Grande Tache rouge. Il s’est avéré que la zone détectée se trouvait à 800 km au-dessus de l’anticyclone géant plus grand que la Terre et qu’elle était aussi chaude que la lave d’un volcan. © James O’Donoghue, Luke Moore, NASA Infrared Telescope Facility (IRTF)
Les chercheurs ont utilisé le rayonnement provenant des cations de trihydrogène (H3+) présents dans la thermosphère où ils ont été découverts pour la première fois hors des laboratoires terrestres en 1989. Les chercheurs savent maintenant que c’est l’ion le plus abondant dans le milieu interstellaire, où il peut demeurer stable compte tenu des températures et pressions très basses qui y règnent. Or, la lumière infrarouge qu’il émet est le reflet de la température du milieu dans lequel il se trouve. Il peut donc jouer le rôle de thermomètre.
La thermosphère surchauffée par des ondes turbulentes ?
Occupé à cartographier la thermosphère de Jupiter, l’astronome James O’Donoghue, puis ses collègues, n’en a pas cru ses yeux quand il a découvert que la température au-dessus de la Grande tache rouge était de 1.600 kelvins ! On peut en déduire que ce gigantesque anticyclone, dont la stabilité est mal comprise, est directement lié à la présence de cette région à haute température. Cela donne donc plus de crédit à deux mécanismes proposés pour chauffer la thermosphère : les ondes de gravité (à ne pas confondre avec les ondes gravitationnelles) et les ondes sonores.
Les ondes de gravité, dont l’exemple le plus connu est tout simplement celui des vagues à la surface de l’eau, sont des ondes induites par la force de gravité sur des masses légèrement déplacées de leur position d’équilibre. Elles se mettent à osciller comme le ferait un poids au bout d’un ressort. Les ondes sonores sont elles des variations de la pression dans un fluide. Ces ondes sont émises dans l’atmosphère de la Terre et se propagent également à l’intérieur du Soleil. Leur présence dans l’atmosphère de Jupiter n’a donc rien d’étonnant. Mais celles que générerait la Grande Tache rouge seraient particulièrement fortes et deviendraient très turbulentes en arrivant dans la thermosphère. Elles s’y comporteraient donc comme une source de chaleur. On peut se faire une idée de l’apparition de cette turbulence en pensant à ce qui se passe avec le ressac, quand une vague se brise sur le rivage.
La Grande Tache rouge n’est pas la seule zone turbulente à la surface de Jupiter. On peut donc penser maintenant que le chauffage de la thermosphère de Jupiter provient en général des ondes sonores et de gravité générées dans l’atmosphère basse. Mais il reste du travail à faire, que ce soit en continuant à cartographier la température de la thermosphère et à tenter de la relier à ce qui se passe plus bas dans l’atmosphère de Jupiter, et en étudiant des modèles numériques de cette atmosphère pour vraiment comprendre ce qui se passe et résoudre définitivement l’énigme de la crise de l’énergie sur Jupiter.
Source: Futura Sciences