Les régimes alimentaires sont souvent perçus comme étant banals. « On n’a rien à perdre », se dit-on. Or, chez les gens prédisposés à développer un trouble alimentaire, les régimes restrictifs agissent souvent comme déclencheur du trouble, qu’ils soient conçus pour perdre du poids ou pour contrôler des symptômes intestinaux.
Camille*, 16 ans, souffre de douleurs abdominales depuis le début de l’adolescence. Au terme d’une série de tests et rencontres avec des spécialistes, ses parents l’ont amenée voir une nutritionniste, qui a émis une hypothèse pour expliquer ses maux: le syndrome du côlon irritable.
Et ce problème avait une solution: le régime FODMAP, élaboré il y a une dizaine d’années et de plus en plus populaire auprès des professionnels de la santé. Le régime consiste à retirer tous les aliments qui contiennent certains glucides qui fermenteraient rapidement (et causeraient les problèmes intestinaux) et à les réintégrer graduellement pour évaluer son seuil de tolérance à chacun d’entre eux.
Suivant le mode d’emploi du régime, Camille a retiré le blé, les produits laitiers, les légumineuses ainsi que plusieurs fruits et légumes de son alimentation. D’autres aliments devaient être servis en petite portion: demi-tasse de brocoli, demi-orange, sucreries «avec modération»…
Au fil des semaines, les douleurs abdominales de Camille se sont estompées, au grand bonheur de toute la famille. Mais ses parents, aujourd’hui, sont inquiets pour une tout autre raison: la jeune fille semble présenter des symptômes de trouble alimentaire.
Camille, qui est «loin d’être en surpoids», avait déjà commencé à faire attention à son alimentation avant d’entreprendre le régime FODMAP, mais aux yeux de sa mère et de la nutritionniste que cette dernière a consultée, le régime semble avoir précipité les choses.
«Elle s’est mise à calculer les portions aux fins du régime FODMAP, mais j’ai l’impression que ça a agi comme déclencheur pour se mettre à faire encore plus attention pour le reste», précise sa mère.
Camille a commencé à refuser les desserts, même si ceux-ci étaient corrects en vertu du régime FODMAP, à dire qu’elle n’aimait pas la viande, le pain, à préparer ses propres repas.
Jointe par La Presse, l’équipe de l’Université Monash, en Australie, où a été élaboré le régime FODMAP, nous a dit qu’il est d’une «importance capitale» que la personne demande les conseils d’un diététicien expérimenté avant d’entreprendre la diète faible en FODMAP. Avant le début de tout régime alimentaire, a ajouté la chercheuse Jaci Barrett, «le diététiste et le médecin traitant devraient envisager un trouble alimentaire sous-jacent», et, si nécessaire, veiller, avant toute autre chose, à améliorer la relation de la personne avec la nourriture.
Un déclencheur
Les spécialistes en troubles alimentaires à qui nous avons parlé sont unanimes: si les troubles alimentaires demeurent des problématiques complexes aux causes multiples, les régimes agissent souvent comme déclencheur du trouble chez ceux qui sont prédisposés à en développer.
Bien que le régime FODMAP ne soit pas conçu, en soi, pour perdre du poids, son côté très restrictif peut précipiter le trouble alimentaire, selon la nutritionniste Guylaine Guevremont. «C’est le propre des diètes: dès qu’on met une personne en restriction, on ouvre la porte à ce que la personne puisse développer un trouble alimentaire», explique la fondatrice de la clinique Muula (muula.ca), dont l’approche anti-régime mise sur l’alimentation intuitive.
Les régimes offrent un sentiment de contrôle, dit-elle, et c’est ce que cherchent les gens qui souffrent d’un trouble alimentaire ou qui sont susceptibles d’en développer.
D’où leur attirance, à la base, envers les régimes, souligne Howard Steiger, chef du continuum des troubles alimentaires de l’Institut Douglas. «En général, ce sont des gens qui recherchent à structurer leur alimentation, à développer des règles qui les aident à limiter ce qu’ils vont manger pour se donner un sentiment de maîtrise sur leur alimentation», explique-t-il. Ce contrôle permet de geler leurs émotions, mais demeure la cause du problème, rappelle Guylaine Guevremont.
Au-delà du sentiment de contrôle, les restrictions alimentaires induisent des changements biologiques et physiologiques (sérotonine, baisse du métabolisme, etc.), souligne Nathalie St-Amour, doctorante en psychologie, infirmière et directrice de la Clinique St-Amour. Chez les gens qui ont des prédispositions, ces changements peuvent intensifier les obsessions et les préoccupations envers l’alimentation et augmenter la catégorisation de «bons» et «mauvais» aliments», dit-elle.
«S’ensuit alors un cercle vicieux : plus les gens vont être restrictifs, plus il va y avoir de changements, plus il va y avoir d’obsessions et de préoccupations», explique Nathalie St-Amour, qui a elle-même vécu l’enfer de l’anorexie.
Nathalie St-Amour avait des traits de personnalité et une histoire qui la prédisposaient à développer un trouble alimentaire, certes, mais son trouble a tout de même débuté par un petit régime, à l’automne de ses 14 ans. Elle voulait perdre la dizaine de livres qu’elle avait gagnés pendant l’été.
Le printemps suivant, elle aboutissait à l’hôpital Sainte-Justine. Son rythme cardiaque était à 36. Elle pesait moins de 70 livres.
«En dernier, tout était régi par des règles, et l’objectif était de manger le moins possible. Et la culpabilité d’avoir à déroger à une règle… C’était l’enfer, totalement l’enfer», se souvient la mère de trois enfants, qui a retrouvé une relation saine avec la nourriture au début de l’âge adulte.
*Le prénom et des détails de son histoire ont été changés pour éviter qu’elle puisse être identifiée.
Conseils aux parents
Les parents peuvent favoriser, chez leurs enfants, le développement d’une saine relation avec la nourriture et intervenir si quelque chose ne tourne pas rond. Voici les conseils de Myriam Gehami, nutritionniste en troubles alimentaires à la Clinique psychoalimentaire et chargée de cours à l’Université de Montréal.
COMMENT AIDER À PRÉVENIR LES TROUBLES ALIMENTAIRES?
> Laisser l’enfant libre d’être lui-même
Le concept est vaste, mais son but est simple : favoriser l’estime de soi et diminuer son anxiété. Il est connu que les enfants qui développent un trouble alimentaire proviennent souvent de l’un de ces trois types de famille : surprotectrice (où l’enfant n’apprend pas à devenir autonome), négligente ou chaotique (où il y a de la violence, des cris, de l’impulsivité, l’absence du parent, etc.) ou parfaite (où l’apparat est important et où les attentes envers les enfants sont élevées).
> Ne pas mettre l’accent sur l’apparence physique
L’apparence physique ne devrait pas être un sujet de discussion dans la famille, estime Myriam Gehami, parce que l’enfant pourrait y attribuer une trop grande importance. Donc, pas de «il me semble que tu as engraissé», «ce n’est pas beau, tes cheveux comme ça», «tu te maquilles trop», etc. «Même si le parent fait juste des commentaires sur lui-même, et non sur l’enfant, c’est transmis à l’enfant», souligne Myriam Gehami. Enfin, mieux vaut ne pas se peser devant son enfant, cacher le pèse-personne même et sortir les grands miroirs de la maison.
> Ne pas restreindre la famille
Si le parent a une relation harmonieuse avec la nourriture, l’enfant a de meilleures chances d’en avoir une lui aussi. Mais l’inverse est aussi vrai. Les parents qui mettent la famille entière au régime en excluant totalement les féculents du menu, par exemple, peuvent nuire à la relation que leurs enfants entretiennent avec la nourriture tout en ne comblant pas leurs besoins alimentaires, souligne Myriam Gehami. Quant aux gâteries, on devrait trouver un juste milieu: «Pas trop, mais ni trop peu.»
COMMENT RÉAGIR QUAND SON ENFANT PRÉSENTE UN TROUBLE ALIMENTAIRE?
La première chose, note Myriam Gehami, c’est de consulter son pédiatre. Et on évite de mettre de la pression sur lui, de le forcer à manger ou moins manger, de le menacer. «Dans un congrès, un collègue avait dit que le conseil de base, c’était « Stop making it the big thing »», relate-t-elle. Plus le parent est oppressif, plus l’enfant se sentira jugé. Son anxiété augmentera, son estime de soi s’en ressentira et, pour s’apaiser, il s’enfoncera encore plus dans son trouble alimentaire.
ET SI L’ENFANT A UN SURPLUS DE POIDS?
> Éviter les paroles et les gestes qui laissent croire à l’enfant qu’il est trop gros
«C’est LE conseil le plus important, l’incontournable, dit Myriam Gehami. Il ne faut pas passer de commentaire, le restreindre, le faire sentir à part. Si on fait ça, c’est sûr que le problème va s’empirer.» L’enfant se sentira jugé, dévalorisé, et manger pourrait devenir une façon, pour lui, de geler ces émotions en pensées négatives. On évite à tout prix de servir à l’enfant un repas différent des autres membres de la famille.
> Favoriser une saine alimentation et de sains comportements alimentaires pour toute la famille
Tranquillement, subtilement, on modifie nos habitudes alimentaires pour tendre vers mieux. «Si on mange souvent des desserts, on peut en acheter un peu moins, sans préciser que c’est pour faire maigrir l’enfant », indique Myriam Gehami. Et on évite de couper complètement les gâteries; c’est le meilleur moyen de développer des obsessions envers ces aliments.
> Orienter l’enfant vers une activité de son choix
L’activité doit être axée sur le plaisir, et non sur la perte de poids, insiste Myriam Gehami. Le mot-clé: subtilité. «Par exemple, s’il y a un chien à la maison, on peut demander à l’enfant d’aller faire la sortie du matin ou du soir, pour délester le parent de cette responsabilité», suggère Myriam Gehami.