La courtepointe, symbole d’un passé éclairé à la lanterne, où les moindres retailles de tissus étaient recyclées puis rapiécées par des grands-mères économes, fait un retour en force, explosant hors des frontières du domestique. Thérapeutique, technologique, déconstruite, artistique… Portrait d’une survivante aux mille visages et star montante de Pinterest et Instagram.
Autour d’une table à pique-nique en bordure du canal de Lachine, Shannon Fraser, Isabelle Jean et Stéphanie Baldwin partagent généreusement leurs états d’esprit d’artisanes de la courtepointe.
Shannon, jeune entrepreneure et blogueuse, exploite une boutique Etsy où elle vend les fruits de ses efforts créatifs. Celle qui se découvre depuis quelques mois une passion pour la couture à la main déploie devant nos yeux admiratifs les photos de ses plus récentes pièces qu’elle garde dans son iPhone.
Montréalaise d’origine californienne, Stéphanie Baldwin fait un lien entre son bagage en histoire de l’art et sa passion dévorante pour l’agencement de formes et de couleurs aux commandes d’une machine à coudre. Quand elle n’est pas au travail, elle passe plusieurs heures dans sa « cave de couture » à besogner sur ses projets de courtepointe. « J’aime coudre en écoutant des balados », confie la rouquine jeune femme, qui profite de notre interview pour finir la bordure d’un projet amorcé en mars dernier.
Isabelle (alias « Izzie »), mère de six enfants, nous dit qu’elle trouve chaque jour une heure « quand tout le monde est au lit » pour s’adonner à son hobby de prédilection, avec comme compagnons le chat familial et des reprises de Scandal sur Netflix. « En mai dernier, quand mon beau-père est décédé, j’ai récupéré toutes ses chemises en flanelle et j’en ai fait deux courtepointes, que j’ai donnés à ses filles. J’ai pleuré sans cesse en faisant ce projet. »
« Faire une courtepointe, c’est vraiment une aventure : on ne sait jamais trop où ça va nous mener », dit Shannon, jeune entrepreneure et blogueuse.
LES FERMIÈRES AU TEMPS DE PINTEREST
Si, naguère, l’art de la courtepointe était transmis par les aînées aux plus jeunes, l’inverse se produit chez les trois femmes interviewées : autodidactes, elles créent des pièces utilitaires ou décoratives, qu’elles offrent à leurs mères, leurs amis, aux nouveau-nés de l’entourage…
Dans les pages du magazine Dwell ou sur les lits du très chic Fogo Island Inn, la courtepointe est depuis quelques années une pièce prisée des amateurs de déco. Puis, à en croire ces ambassadrices du « fait maison » interviewées, nul besoin d’être pourvu de doigts de fée pour s’y initier et coudre ses propres créations. « Il y a beaucoup de tutoriels gratuits sur YouTube », indique Shannon Fraser, qui elle-même s’est lancée corps et âme, il y a un an et demi, armée d’une machine de moins de 150 $.
« Le mouvement hipster, avec son accent sur le « faites-le vous-même », a beaucoup contribué à l’engouement pour la courtepointe », poursuit Stéphanie Baldwin, qui préside la Guilde de courtepointe moderne de Montréal.
S’inscrire dans la modernité, affirment nos trois interlocutrices, c’est rompre avec une tradition de courtepointes beige brun, avec des agencements de couleurs imposés. « Nous, on aime les contrastes de couleurs, les espaces blancs. »
La Guilde réunit une quarantaine de membres, toutes des femmes, qui ont entre 20 et 70 ans. Elles se réunissent une fois par mois, échangent sur leurs projets en cours, prennent part à des classes de maître (la plus récente était donnée par Libs Elliott, star torontoise de la courtepointe). « Il y a des gens de tous les horizons : il y a Johanne, qui vient de retourner aux études en statistique, il y a une ingénieure chimiste, des personnes avec un bagage dans l’industrie du textile, une qui fait de la recherche sur l’autisme », explique Stéphanie Baldwin, qui met aussi l’accent sur les initiatives sociales de la Guilde.
Chaque année, la Guilde choisit un organisme de bienfaisance à qui elle fait don de plusieurs courtepointes (les membres en ont créé pour un centre de soins palliatifs, un refuge pour femmes dans le besoin…).
Et à la suite de l’attaque survenue au club de nuit Pulse, à Orlando, les membres ont répondu à l’appel de la Guilde d’Orlando, pour la confection d’une courtepointe en appui aux proches des victimes.
Pour les artisanes de courtepointe moderne, absolument tout est source d’inspiration. Shannon, Stéphanie et Isabelle tiennent chacune un blogue, où elles documentent leurs découvertes, leurs écueils, leurs derniers coups de coeur et les histoires qui habitent chacune de leurs créations. Et pour les trois femmes, la quasi-totalité de leurs achats de matériel se fait en ligne.
Mais de tous les magasins de bonbons, Pinterest et Instagram sont de loin les plus alléchants, expriment unanimement les trois artisanes. « Il ne faut pas passer trop de temps là-dessus parce que sinon, on n’en sort jamais ! », concède Isabelle.
VIVE LA COURTEPOINTE LIBRE !
Nous rencontrons Annette Locas, chaleureuse septuagénaire et productive artisane, dans le kiosque qu’elle tient dans un marché public de Lachute. Sa table est abondamment garnie des produits de sa créativité débordante, qui attire l’oeil de plusieurs curieuses et amatrices de créations faites main. Pendant notre entrevue, Jade, la compagne du petit-fils d’Annette, vient lui planter un bisou sur la joue.
« J’ai de la chance ! Je dors sous une courtepointe qu’elle a faite en récupérant les pyjamas de ses petits-enfants », s’anime la pimpante jeune femme.
Annette Locas a un peu appris l’art de la courtepointe par sa mère et sa grand-mère. « Autrefois, les lits étaient plus petits, donc c’était plus simple de faire à la main. Aujourd’hui, avec les lits queen, il vaut mieux confectionner à la machine », dit-elle. C’est surtout depuis une quinzaine d’années, après une longue rééducation ayant suivi un accident vasculaire cérébral, qu’elle a développé sa pratique et son style tout en exerçant sa dextérité.
Les suggestions de l’internet ? Pas pour Annette Locas, qui réside dans un environnement bucolique et dont l’imaginaire déborde d’inspiration. « J’ai des idées tout le temps, même quand je rêve la nuit ! »
Les artisanes de courtepointe moderne dépoussièrent les traditions et confectionnent les souvenirs de demain.
QUELQUES TUYAUX POUR SE LANCER
LE SITE CRAFTSY
Ce site d’apprentissage en ligne fondé au début des années 2010 offre une foule de tutoriels adaptés à tous les niveaux.
Pinterest répertorie une foule d’idées pour trouver des patrons en lien avec des blogues ou des sites consacrés à la courtepointe.
YOUTUBE
« Quand j’ai commencé à faire de la courtepointe, j’ai trouvé une foule de ressources sur YouTube », dit Shannon Fraser. En tapant « courtepointe pour débutant », on accède à une vaste liste de tutoriels détaillés.
source: http://www.lapresse.ca/vivre/societe/201608/19/01-5012055-delurer-la-courtepointe.php