Le poète et chanteur montréalais est décédé à l’âge de 82 ans.

«Nous sommes arrivés au point où nous sommes si vieux, nos corps tombent en lambeaux, et je pense que je te rejoindrai bientôt.» Leonard Cohen avait prévenu sa muse, Marianne Ihlen, cet été : la vie, pour lui comme pour elle, s’achevait. Le poète-chanteur, géant de la culture québécoise, s’est éteint, jeudi, à l’âge de 82 ans.

« C’est avec un immense chagrin que nous vous annonçons que le légendaire poète, auteur, compositeur et artiste, Leonard Cohen, est décédé, a confirmé son site officiel, en milieu de soirée. Nous avons perdu un des visionnaires les plus prolifiques et révérés de la musique. »

Les mots sont faibles pour décrire l’ampleur de l’oeuvre que laisse derrière lui M. Cohen, né à Montréal, en septembre 1934, d’une famille de la bourgeoisie juive. Oeuvre qu’il venait tout juste de bonifier d’un dernier album, You Want It Darker, acclamé par la critique il y a trois semaines à peine.

Tout dans ce disque crépusculaire annonçait l’inévitable — même pour un homme qui a souvent soutenu être immortel, sourire en coin et touche d’ironie habilement maniée. Enregistré dans une chaise orthopédique avec l’aide de son fils Adam, You Want It Darker s’inscrira comme un sommet dans sa discographie, aux côtés des inoubliables Songs Of Leonard Cohen, I’m Your Man et autres Songs of Love And Hate.

Le disque d’un homme qui « parle du sommet de la montagne qu’il a forgée avec ses mains et ses mélodies », confiait Adam Cohen au Devoir, à la sortie. Un album comme la somme d’une vie consacrée aux mots : le ton grave des thèmes chers au poète (la vie, l’amour, le désir charnel, la mort, la religion — omniprésente — et la vieillesse), la beauté dans chaque phrase. Neuf chansons pour rappeler le talent d’un extraordinaire mélodiste. Et cette voix…

Cette voix à nulle autre pareille. « I was born with the gift of a golden voice », chantait-il avec humour dans Tower of Song. Cette voix qui jetait de la lumière sur les profondeurs de l’âme, qui remuait le coeur en murmurant A Thousand Kisses Deep. Cette voix pourtant plutôt haut perchée et mal assurée sur ses premiers albums, mais que le temps (et les cigarettes) avait modelée avec gravité.

Art multiple

Personnalité complexe, enclin à la dépression et à une profonde mélancolie, qui a stimulé et habité son oeuvre, Leonard Cohen a, toute sa vie, mis son talent et ses énergies au service d’un art multiple.

Le parcours de Cohen en chanson a ceci de particulier qu’il a débuté dans la poésie pure. Études en lettres à McGill, prix et reconnaissance publique dès le début pour une oeuvre dont la trame tournera toujours autour des mêmes préoccupations : la métaphysique, l’amour, la sensualité, la sexualité, la religion, la mélancolie.

Il publie en 1956 un premier recueil de poésie, Let Us Compare Mythologies. Sa réputation s’établit dans les cercles littéraires, ses talents d’orateur lui permettent d’attirer des foules enthousiastes aux lectures qu’il fait de ses textes.

Après un roman et cinq recueils, Cohen se met à la musique en 1966. Il s’éloigne de Montréal et d’Hydra (son autre maison, en Grèce) pour New York, où il côtoie plusieurs grands du mouvement folk. C’est Judy Collins qui enregistre la première des chansons du Montréalais : elle fera de Suzanne un succès.

Son premier album paraît en 1967, rempli de classiques — et de promesses. Un deuxième suit en 1969 (Songs From a Room), disque qui confirme sa réputation de « prince du pessimisme ».

Cohen bâtira son oeuvre à un rythme lent, mais toujours fécond. Avec des pauses et des absences. Avec aussi des phases musicales fort différentes : aux albums acoustiques des débuts succèdent des disques aux fortes tonalités de synthétiseurs (le son plus rock qui s’impose à partir de Various Position, en 1984 — où le classique Hallelujah fait son apparition). Jusqu’à une dernière période (trois disques entre 2012 et 2016) où Cohen trouve un nouveau souffle dans un cadre musical plus chaleureux.

Des images

« Cohen est un créateur d’images très fortes, d’abord et avant tout, confiait au Devoiren 2008 son ami et confrère, Michel Garneau. Il réussit à communiquer une vérité sensorielle qui fait que cette image fonctionne. Il a des moments de vérité dans la métaphore qui sont exceptionnels. »

Pour The Edge, guitariste du groupe U2, Cohen est — était, faut-il dire maintenant — « une voix prophétique, d’une portée presque biblique ».

Entre la mélancolie, les amours écorchées, un érotisme latent et de multiples références religieuses et mystiques, son oeuvre ne manque pas d’assises durables. Mais on retiendra peut-être surtout du corpus la beauté pure de certaines phrases.

Ainsi, dans cette lettre qu’il a adressée à une Marianne Ihlen mourante l’été dernier, où Cohen écrivait : « Sache que je suis si près, derrière toi, que si tu tends la main tu peux atteindre la mienne. […] Je veux seulement te souhaiter un très beau voyage. Au revoir, ma vieille amie. Mon amour éternel. Rendez-vous au bout du chemin. »

Un chemin qui menait au 10 novembre 2016.

Source: Le Devoir

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