Les élus pourraient se pencher de nouveau sur la question pour inclure les maladies du cerveau dégénératives
Le débat sur l’aide médicale à mourir ressurgit à l’Assemblée nationale quelques jours à peine après la mise en accusation d’un homme qui aurait « tué par compassion » sa conjointe souffrant de la maladie d’Alzheimer.
Des élus de toutes les formations politiques se sont dits favorables jeudi à l’idée d’étudier la possibilité, pour une personne atteinte d’une démence causée par une maladie dégénérative du cerveau, de faire une demande anticipée d’aide médicale à mourir. Parmi eux, le ministre de la Santé, Gaétan Barrette.
À l’heure actuelle, seuls la Belgique et les Pays-Bas ont légiféré en ce sens. En Belgique, les personnes éprouvant une atteinte irréversible de la conscience peuvent avoir accès à l’aide médicale à mourir, à condition d’avoir préalablement rédigé une demande anticipée à cet effet.
Le député François Bonnardel a soutenu jeudi que l’Assemblée nationale « a oublié près de 140 000 personnes » atteintes de la maladie d’Alzheimer, y compris sa mère, lorsqu’elle a adopté la Loi concernant les soins de fin de vie il y a près de trois ans. Ces personnes sont inadmissibles à l’aide médicale à mourir, notamment parce qu’elles sont incapables d’exprimer leur consentement à la sédation palliative continue. « Je suis persuadé que ma maman, si elle s’était vue dans l’état où elle est aujourd’hui, où elle ne vit plus — elle est prisonnière de son corps, elle ne sourit plus, elle ne me reconnaît plus, elle ne marche plus —, elle m’aurait sûrement dit : “Tu auras un mandat d’inaptitude pour ma vie un jour. Je te fais confiance, je fais confiance au médecin” », a-t-il affirmé, tout en retenant ses larmes.
Consensus fragile
Le projet de loi 52 n’aurait pas passé la rampe de l’Assemblée nationale s’il avait inclus une disposition permettant de demander à l’avance l’aide médicale à mourir, est persuadée l’ex-ministre déléguée aux Services sociaux, Véronique Hivon. « Il fallait franchir ce grand pas qu’on se permettait comme société avec la Loi concernant les soins de fin de vie, [donc] de ne pas essayer d’embrasser trop large et de perdre le consensus », a-t-elle souligné jeudi.
Pas moins de 22 députés sur 125 avaient voté contre la loi 52 définissant l’aide médicale à mourir comme « l’administration de médicaments ou de substances par un médecin à une personne en fin de vie, à la demande de celle-ci, dans le but de soulager ses souffrances en entraînant son décès », en juin 2014.
Véronique Hivon, PQ
Le ministre Gaétan Barrette s’est dit disposé à rouvrir le débat, estimant qu’« il est possible que le dénominateur commun dans la société soit un peu plus large » aujourd’hui. « Personnellement, je suis tout à fait à l’aise avec le fait que le débat continue de façon neutre et objective », a-t-il déclaré lors d’un impromptu de presse.
Tout débat sur un éventuel élargissement de la portée de l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes d’une démence causée par une maladie dégénérative provoquera à coup sûr des « déchirements » au sein de la société québécoise, estime Mme Hivon, pointant une « question qui est très compliquée d’un point de vue éthique, d’un point de vue social, d’un point de vue médical ». « D’un strict point de vue de droit, pourquoi une personne inapte [souffrant de la maladie d’Alzheimer, par exemple] n’aurait-elle pas les mêmes droits qu’une personne apte ? Alors, il y a une question qui se pose là très certainement, mais la pierre angulaire de la loi, c’est la demande de la personne elle-même pour elle-même, et ça, moi, j’y tiens mordicus », a-t-elle soutenu.
Faire face au débat
Cela dit, l’Assemblée « ne peut pas fuir le débat ». « Les Québécois ont soif que nous débattions aussi de cette question-là », a fait valoir Mme Hivon, qui parcourt le territoire québécois afin d’expliquer les tenants et aboutissants de la Loi concernant les soins de fin de vie.
Les partis d’opposition souhaitent voir une commission parlementaire se saisir de la question.
Le rapport du groupe de travail conjoint sur l’aide médicale à mourir (2013) constituerait une « excellente base pour redémarrer la discussion sur cet enjeu-là », a soutenu Mme Hivon. « Pour protéger les personnes inaptes, il faut trouver d’autres solutions que de leur refuser ce dernier recours. Les directives anticipées et la demande anticipée d’aide médicale à mourir représenteraient une avancée importante à cet égard », peut-on notamment lire dans le document.
« C’est une société compatissante qui fait ça. Ce n’est pas parce qu’on veut se débarrasser de nos proches, c’est parce qu’on sait que nos proches, quelque part, ont exprimé dans le passé le souhait qu’on ne les abandonne pas, qu’on ne les laisse pas à eux-mêmes, à elles-mêmes, et à leurs souffrances », a insisté le député solidaire Amir Khadir.
La démence accable environ 2 % des personnes de 65 à 74 ans, 11 % de celles de 75 à 84 ans et 35 % de celles de 85 ans et plus. La maladie d’Alzheimer est derrière la moitié des cas de démence.