La suspension temporaire de l’évaluation fédérale du pipeline Énergie Est pourrait bien être la première étape menant à l’abandon du controversé projet de TransCanada, une demande formulée de nouveau vendredi par les groupes environnementaux, qui estiment que ce pipeline fait face à une vive opposition au Québec.
« L’abandon pur et simple du projet Énergie Est est bien possible », affirme sans hésiter Jean-Thomas Bernard, spécialiste de l’économie des ressources naturelles et professeur au Département d’économie de l’Université d’Ottawa.
La décision de TransCanada de demander une suspension de 30 jours de l’évaluation menée par l’Office national de l’énergie lui apparaît pour le moins « inhabituelle ». Il faut dire que l’organisme n’avait toujours pas relancé le processus d’audiences pour ce projet, qui doit transporter chaque jour 1,1 million de barils de pétrole des sables bitumineux et du Dakota du Nord.
Keystone XL
Selon M. Bernard, la décision définitive de la pétrolière albertaine concernant Énergie Est dépendra de celle qui sera prise pour un autre projet de TransCanada, soit le pipeline Keystone XL. Au début du mois de septembre, rappelle-t-il, l’entreprise a annoncé son intention de prolonger jusqu’à la fin du mois d’octobre son appel pour trouver des clients pour acheter le pétrole albertain qui circulerait dans Keystone XL — à raison de 830 000 barils par jour — vers les raffineries du sud des États-Unis.
« Cette période additionnelle coïncide avec le délai de suspension demandé pour l’évaluation d’Énergie Est, précise M. Bernard. Donc, TransCanada essaie de trouver des clients qui s’engageront à long terme à acheter le pétrole de Keystone XL, qui vise essentiellement le même marché qu’Énergie Est. Si l’entreprise parvient à trouver suffisamment de clients pour décider de construire son pipeline vers les États-Unis, on pourra graver une épitaphe pour Énergie Est. »
Pour les producteurs albertains, cette option du pipeline Keystone XL serait d’ailleurs intéressante, en raison de la possibilité, pour les raffineries du Texas, de raffiner le pétrole des sables bitumineux. « Ce projet, c’est de toute évidence le “plan A” de l’industrie, illustre M. Bernard. Mais Énergie Est, c’est au mieux leur “plan B”. »
Gaz à effet de serre
Qui plus est, l’analyse prévue des émissions de gaz à effet de serre pour l’ensemble du projet Énergie Est, y compris celles de la production et de la consommation du pétrole, ajouterait une bonne dose d’« incertitude » sur la réussite du projet.
D’autant plus que ce pipeline, qui serait en exploitation pendant des décennies, serait construit au moment où le gouvernement de Justin Trudeau promet de réduire substantiellement les émissions de gaz à effet de serre du Canada, au nom de la lutte contre les changements climatiques. « Si TransCanada laisse tomber Énergie Est, l’entreprise enlève une épine au pied du gouvernement Trudeau », estime Jean-Thomas Bernard.
Est-ce que TransCanada songe à abandonner ce projet de plus de 15 milliards de dollars ? Pourrait-on contester les règles imposées par l’Office national de l’énergie pour l’examen du pipeline ? « TransCanada ne fera aucun autre commentaire au sujet de la déclaration diffusée sur le fil de presse hier après-midi », a simplement répondu son porte-parole, Tim Duboyce, vendredi.
Le gouvernement du Québec n’a pas souhaité réagir vendredi dans le dossier Énergie Est. L’entreprise n’a toujours pas complété son étude d’impact qui doit être déposée pour l’évaluation environnementale québécoise du projet, a toutefois confirmé le cabinet du ministre de l’Environnement, David Heurtel.
Opposition
Pour les groupes environnementaux, cette première décision de la multinationale albertaine doit absolument mener à l’abandon du projet de pipeline destiné essentiellement à l’exportation de pétrole brut.
« Depuis le début, le projet est plombé par un mur d’opposition qui s’est dressé au Québec et par le manque de justification économique et environnementale du projet. Ce mur apparaît maintenant de plus en plus infranchissable », fait valoir Christian Simard, de Nature Québec.
« La science est claire. Nous ne pouvons ajouter de nouvelles infrastructures d’énergies fossiles sans remettre en cause l’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris. Il est évident qu’Énergie Est est incompatible avec nos objectifs climatiques et qu’il doit être abandonné », selon Karel Mayrand, directeur général pour le Québec de la Fondation David Suzuki.
En plus des groupes écologistes, des dizaines de municipalités du Québec s’opposent au projet de pipeline, mais aussi des organisations syndicales et l’Union des producteurs agricoles.
Le pipeline Énergie Est, d’une longueur totale de 4600 kilomètres, traverserait le territoire de six provinces, de l’Alberta au Nouveau-Brunswick. Au Québec, le pipeline aurait une longueur de 625 kilomètres. Il traverserait le territoire de plusieurs municipalités, quelques centaines de cours d’eau, des terres agricoles et des milieux naturels protégés.