Dans une étude récente en partenariat avec un sélectionneur, des chercheurs de l’Unité mixte de recherche GDEC du Centre Clermont-Auvergne-Rhône-Alpes (UMR UCA-INRAE) montrent que la ressemblance entre les profils de recombinaison dérivés de populations de blé tendre génétiquement éloignées décroît, ce qui pourrait affecter l’utilisation de ressources exotiques originales pour améliorer les variétés actuelles. Elucider les déterminismes qui contrôlent ce paysage serait donc une piste de travail cruciale pour l’avenir de la sélection de l’espèce.
Les échanges réciproques d’ADN (appelés crossing-overs) qui se produisent pendant la production de gamètes lors de la méiose sont rares mais obligatoires pour assurer la fertilité chez les espèces à reproduction sexuée. Ce processus vital a aussi pour conséquence de brasser les différents variants (allèles) des gènes parentaux et ainsi de transmettre un patrimoine génétique unique et inédit aux descendants, alimentant la variation génétique et permettant l’adaptation et donc l’évolution des espèces.
Comprendre le déterminisme du profil de recombinaison chez les espèces d’intérêt agronomique est une piste de travail primordiale pour l’avenir.
La répartition des crossing-overs le long des chromosomes (aussi appelée « profil de recombinaison ») est très aléatoire mais aussi hétérogène le long du génome, ce qui impacte la gamme des combinaisons alléliques et l’adaptabilité des populations. A l’échelle du génome entier, les crossing-overs sont majoritairement localisés dans les parties distales des chromosomes. A l’échelle locale, ils focalisent dans des intervalles de taille réduite appelés « points chauds de recombinaison » séparés par des zones froides dépourvues de recombinaison. Si chez certaines espèce (dont les humains), le déterminisme du profil de recombinaison (i.e. la position des points chauds de recombinaison) est plutôt bien compris, il reste mystérieux pour la très grande majorité des espèces, dont les plantes de grande culture. Une étape préalable à la compréhension des mécanismes conduisant à ce profil est sa caractérisation au niveau du génome entier.
Une approche pour estimer le profil de recombinaison au niveau du génome consiste à évaluer l’intensité de l’association entre allèles à de nombreux endroits du génome et à estimer la fréquence de crossing-overs ancestraux ayant cassé ces associations. Ainsi, chez le blé tendre, une étude récente utilisant cette stratégie a comparé les profils de recombinaisons des quatre grands groupes génétiques qui évoluent entre l’Europe et l’Asie. Il a été montré que les populations proches ont un profil de recombinaison plus similaire que les populations éloignées. Cette évolution progressive mais nette du profil de recombinaison le long de l’axe Europe-Asie est surprenante, dans la mesure où le blé tendre est une espèce récente (~ 10 000 ans). Cette évolution rapide sous-tend que les facteurs gouvernant le profil de recombinaison évoluent eux aussi très vite.
Plusieurs hypothèses ont été proposées pour expliquer cette évolution du profil de recombinaison le long de l’axe Europe-Asie. La première est que les séquences d’ADN se sont progressivement différenciées d’un groupe à l’autre modifiant la structure des chromosomes par des insertions, des délétions, des mutations induisant ainsi la création ou la disparition de points chauds. Il peut aussi s’agir d’une évolution du profil épigénétique de l’ADN, impliquant une modification de l’état de compaction/décompaction de la chromatine le long de la séquence d’ADN, l’accessibilité de l’ADN aux protéines méiotiques étant indispensable pour permettre la formation d’un crossing-over. Enfin, à l’instar de ce qui se passe chez l’Humain, il n’est pas exclu que des protéines gouvernent le profil de recombinaison et que ces protéines se soient différenciées entre populations de blé tendre au cours de l’évolution.
La recombinaison est le seul processus naturel avec la mutation qui permette l’amélioration variétale. Comprendre le déterminisme du profil de recombinaison chez les espèces d’intérêt agronomique est donc une piste de travail primordiale pour l’avenir. Déterminer comment se distribuent les évènements de recombinaison au sein du génome et la variabilité qui existe au sein de la diversité génétique des ressources est donc un premier pas vers la compréhension du déterminisme qui contrôle la recombinaison et ainsi donner des leviers pour accélérer l’adaptation des nouvelles variétés dans un contexte changeant.