Avec Noël, Pâques est la saison la plus importante pour l’industrie chocolatière dont le savoir-faire va bien au-delà du Liban : c’est une vraie réussite à l’export. Muriel ROZELIER | OLJ Pour Colette Yared-Haddad, grande prêtresse du chocolat, cette « matière vivante », comme elle se plaît à la définir, Pâques représente près de 10 % des ventes en volume de sa pâtisserie Cannelle. Un pic saisonnier, comparable à celui de Noël, entretenu par la tradition de la chasse aux œufs, qui sert d’excuses à beaucoup d’enfants, voire d’adultes, pour se laisser aller à leur gourmandise favorite : croquer du chocolat. « Au Liban, le chocolat au lait a plutôt les faveurs du public. Les enfants aiment son côté sucré, moins cacaoté. Même chez les adultes, le lait et le praliné restent les plus prisés. Il y a toutefois une vraie différence de goût entre notre clientèle de l’ouest de Beyrouth qui achète à 75 % nos références lactées et pralinés, contre 75 % des ventes réalisées sur le noir à l’est », remarque Pierre Azar, importateur de la marque française de chocolat Valrhona. Même son de cloche chez Souchet, la seule usine du Liban qui fabrique à partir de fèves de cacao, en provenance du monde entier. « Entre le chocolat au lait et le noir, le niveau de sucre est souvent le même. Ce qui change, c’est la sensation d’amertume. Or, visiblement, à l’ouest, on a davantage le bec sucré », explique, dans un grand éclat de rire, Ibrahim Kalaagi, responsable de la production. Faible consommation On ignore le nombre de tonnes de chocolat englouties chaque année par les Libanais. Selon les douanes, quelque 18 200 tonnes de cacao (sous toutes ses formes) ont été importées en 2014. Si on extrapole à partir de ce volume, on obtient une moyenne de 4 kilos par an et par habitant (sur une base de population de 4,5 millions). C’est peu au regard des niveaux de consommation européens : avec 11,6 kilos par an et par habitant, les Allemands sont les plus gros mangeurs de chocolat. Les Britanniques ne sont pas en reste avec 9,77 kilos. Quant aux Français, ils se placent à la cinquième place avec 6,64 kilos. Mais le chiffre réel de la consommation libanaise est vraisemblablement en deçà. Une large partie des importations est constituée de chocolat comme matière première (en blocs, en fèves ou en poudre), dont une partie – 6 000 tonnes en 2014 selon les douanes – est ensuite réexportée vers les pays du Golfe (ou le monde) après transformation. « 40 % de notre production est exportée vers les pays du Golfe », fait ainsi valoir Ibrahim Kalaagi de Souchet. Au final, si on tient compte de ces réexportations, la consommation nationale tourne autour de 2,7 kilos par an et par habitant. « Le Liban reste un tout petit marché. Ce n’est pas un hasard si le chef pâtissier français Pierre Hermé multiplie les ouvertures dans les pays du Golfe, mais n’envisage pas d’expansion au Liban », précise Maya Maalouf Kanaan, fondatrice de M de Noir, un artisan dont les créations ont été primées lors du dernier salon du chocolat à Paris par l’Award de l’espoir étranger du Club des croqueurs de chocolat, qui l’a également classée dans le Top 22 des meilleurs chocolatiers internationaux. Des bonbons à profusion Autre spécificité des marchés libanais et arabe, c’est leur goût pour ce qu’on appelle les « bonbons » : des portions individuelles emballées. En Europe, les consommateurs sont nettement plus friands de tablettes de chocolat. « Dans la région, nous aimons les emballer pièce par pièce, alors qu’ailleurs en Europe, ils sont souvent présentés » nus » », précise Colette Yared de Cannelle. Cette particularité est liée en fait au mode de consommation : les Libanais sont peu gourmets. « La majorité de nos ventes est dictée par de grands événements. Il s’agit de cadeaux que nos clients offrent à leurs proches pour les fêtes qui rythment notre vie : mariages, fêtes religieuses, naissances, diplômes… explique Safi Kawtharani, fondateur de la pâtisserie Cremino, qui commercialise les chocolats Souchet, l’usine fondée par son père pendant la guerre de 1975. » Une industrie florissante À défaut de marché local porteur, l’industrie chocolatière Made in Lebanon, qui compte entre dix et quinze acteurs industriels, a trouvé dans l’exportation un marché de niche très prometteur. Elle a en effet su se vendre à l’étranger. On retrouve ses bonbons emballés de papier strass, mauve, rose… partout où les Libanais ont essaimé. En 2014, Patchi, Souchet, Chantilly, Chopin et les autres ont exporté pour un total de 59 millions de dollars, un chiffre en hausse de plus de 23 % par rapport à l’année précédente. Depuis 2011, les ventes de chocolat à l’étranger ont bondi de près de 66 % en valeur. « Les pays du Golfe représentent notre principal marché », assure Rima Koteiche el-Husseini, fondatrice avec sa sœur Rana Koteiche-Najjar de Blessing, une entreprise d’événementiels et de création de cadeaux personnalisés autour du thème du chocolat. Ses petites boîtes de chocolat ont même eu leur heure de gloire : elles ont été offertes lors du Wedding of the Year, celui d’Amal Alameddine et de George Clooney. L’Orient Le Jour