Le poste-frontière de Nassib, reliant la Syrie et la Jordanie, était, jusqu’à sa fermeture, le seul point de passage terrestre encore accessible au transport des marchandises exportées vers les pays arabes. Concernés au premier chef, les agriculteurs pressent les autorités de trouver une solution de repli. La fermeture du poste-frontière syro-jordanien de Nassib, décrétée par Amman le 1er avril suite à sa prise d’assaut par des troupes rebelles et du Front al-Nosra, n’en finit pas de faire des remous au Liban. Si tous les camionneurs libanais pris en otage sont désormais libres, les répercussions néfastes de cette décision sur l’économie libanaise risquent, elles, de s’accentuer. « Nous n’avons pas de chiffres exacts, mais en se basant sur les volumes enregistrés par les douanes libanaises, on estime qu’environ 15 000 camions sont passés par Nassib en 2014 », indique Fouad Bawarshi, directeur général adjoint de l’entreprise de transport et de logistique Gezaïri. Ce poste était en effet devenu incontournable pour les camions de marchandises destinées à la plupart des pays arabes. « Depuis la fermeture des autres frontières terrestres l’année dernière, seul le passage de Nassib permet de faire parvenir la majorité des produits agricoles et industriels à ces pays », confirme Naïm Sawaya, président du syndicat des propriétaires de camions. Ventes à perte sur le marché local La facture risque par conséquent d’être salée tant les pays concernés par le poste de Nassib – la Jordanie, l’Irak et les pays du Golfe – pèsent lourd dans les exportations libanaises : selon les chiffres des douanes, le Liban a exporté 783 874 tonnes de marchandises diverses vers ces pays en 2014 pour une valeur totale d’environ 1,31 milliard de dollars. À eux seuls, les produits agricoles représentent, avec 442 561 tonnes, quelque 56 % des exportations vers ces destinations en 2014. « La fermeture de la frontière de Nassib affectera donc substantiellement l’écoulement de nos produits agricoles. Le Liban exporte 65 % de sa production, et les pays du Golfe, avec certains autres pays arabes, absorbent 95 % de ces exportations », explique Saïd Gedeon, directeur du département agricole de la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture de Zahlé. L’impact du blocage des voies d’exportations traditionnelles sur les revenus des agriculteurs est d’autant plus fort que la plupart des denrées concernées sont périssables, obligeant les producteurs à écouler leurs surplus sur le marché local. Entraînant de facto une chute des prix. « Nous sommes à présent obligés de vendre nos fruits et légumes à 50 % de leur coût de production. À titre d’exemple, un kilogramme de pommes nous coûte 3 500 livres lorsque l’on intègre les frais de stockage, mais nous sommes désormais contraints de les vendre à environ 1 500 livres sur le marché local », se désole Ibrahim Tarchichi, président du syndicat des agriculteurs de la Békaa. Alternative maritime Pour ces agriculteurs, comme pour l’ensemble des exportateurs libanais vers les pays arabes, il est donc urgent, sauf à continuer à perdre des sommes considérables, de trouver de nouveaux points de passage pour maintenir leur activité. Une chose est sûre, en tout cas à moyen terme, ces alternatives ne peuvent être terrestres. « Aucun autre point de passage n’est envisageable dans l’immédiat : celui de Ramta-Daraa est à présent condamné, et si certains pensent au passage de Rashdiyé, il n’est pas équipé pour cela », explique Saïd Gedeon. Dans ces conditions, les autorités comme les exportateurs tournent leur regard vers la mer. Mardi dernier, le Conseil des ministres a chargé le ministre de l’Agriculture Akram Chehayeb de préparer une étude détaillée sur une alternative maritime au transport terrestre des exportations. De son côté, le ministre de l’Économie, Alain Hakim, a expliqué qu’« un transport mi-terrestre mi-maritime, pourrait constituer une alternative momentanée, en attendant que la situation se débloque à Nassib ». Le même jour, la Chambre internationale de navigation de Beyrouth a publié un communiqué détaillant un plan d’acheminement. Elle y explique en substance que la seule alternative serait de mettre au point un transport maritime de rouliers qui transporteraient les véhicules chargés de denrées vers les ports égyptiens, par la Méditerranée. Les camions prendraient ensuite la route en direction de l’un des ports égyptiens situés sur la mer Rouge, d’où ils embarqueraient vers le port saoudien de Djeddah pour enfin rejoindre les autres pays du golfe Persique. La possibilité d’emprunter un circuit passant par des ports turcs est en revanche inenvisageable sans transiter par des ports israéliens. Les coûts de transport seraient évidemment plus importants, et menaceront la compétitivité de la production libanaise. Selon Élie Zakhour, président de la Chambre internationale de navigation de Beyrouth, le mode de transport alternatif proposé augmenterait les coûts de transit d’au moins 50 % (de 4 000 à 6 000 dollars par camion en moyenne), mais permettrait néanmoins d’écouler les produits agricoles qui ont dès le départ été transportés dans des conteneurs réfrigérés. Nejiba BELKADI L’Orient Le Jour