C’est un escalier qui vaut tous les discours sur le réchauffement climatique. Plus de 420 marches que les touristes descendent pour rejoindre la Mer de Glace, sur le Mont-Blanc, et qui attestent de la fonte éclair du plus grand glacier de France. Depuis la gare du Montenvers, à 1.913 mètres d’altitude, il faut d’abord emprunter une télécabine pour descendre au niveau où se situait le glacier en 1946. C’est depuis cette date qu’est creusée chaque année la grotte de la Mer de Glace, une attraction avec sons, lumières et sculptures de glace qui attire 350.000 visiteurs par an. Depuis quelques années, « c’est un phénomène nouveau: les gens viennent là pour voir les effets du réchauffement », relève Jean-Marie Claret, exploitant du site depuis 1971. A la sortie de la télécabine, un long escalier court le long de la falaise de granit. Au bout de quelques marches, un panneau indique: «niveau du glacier en 1985 ». Il faut alors se pencher pour apercevoir la glace, une centaine de mètres plus bas, presque invisible sous l’amas de rochers gris qu’elle charrie année après année. Le contraste est saisissant avec les photos des années 1960, quand les vagues de glace bleu turquoise venaient presque lécher le pilier de la télécabine. Cinquante marches plus bas arrive l’année 1990. Puis la descente se poursuit au gré de la fonte du glacier, qui s’accélère dans les années 2000. Après le dernier panneau, celui de l’année 2010, il faut encore descendre 70 marches avant de poser le pied sur la glace. « A une époque, on rajoutait 15 à 20 marches par an », raconte Jean-Marie Claret. Plus grand glacier du Mont-Blanc avec une superficie de 32 km2, la Mer de Glace s’est amincie à son front de 4 à 5 mètres par an entre 2003 et 2012, selon une récente étude du laboratoire de glaciologie de Grenoble (LGGE) et du Laboratoire d’Etudes en Géophysique et Océanographie Spatiales (Legos) de Toulouse. Au début du XIXe siècle, cet immense glacier qui change de nom le long de son parcours (Vallée Blanche, Tacul, Leschaux…) descendait jusqu’au hameau des Bois, dans la vallée de Chamonix, d’où elle est désormais impossible à voir. La glace a en effet reculé d’un peu plus de 2 km depuis 1850 et est cachée derrière une immense falaise. Après une crue glaciaire dans les années 1950 à 1970, la fonte a réellement commencé en 1983. Depuis cette date, la Mer de glace voit sa masse diminuer chaque année, à de rares exceptions près. D’après les mesures du LGGE, ce recul n’est pas dû à une baisse des précipitations, qui ont peu varié au cours des 40 dernières années. Les quantités de neige tombées à la source du glacier (à environ 4.000 mètres d’altitude) continuent à l’alimenter en quantité suffisante. « C’est la fonte qui a beaucoup augmenté » car « sur les trente dernières années, les températures estivales ont progressé de 1,5°C» sur le Mont-Blanc, souligne Christian Vincent, glaciologue au LGGE. A 2.200 mètres d’altitude, les flux de glace ont ainsi diminué de moitié en 30 ans. En 2008, un captage d’EDF (qui produit de l’électricité avec l’eau du glacier) a été mis à l’air libre par la fonte des glaces. Et le front du glacier devrait encore reculer de 1,2 km d’ici à 2040, selon les estimations du LGGE, avec une marge d’erreur de plus ou moins 200 mètres. « Il n’y aura alors plus de glacier en face de la gare du Montenvers », inaugurée en 1909, prédit Christian Vincent. Un mauvais présage pour la compagnie du Mont-Blanc qui convoie 450.000 personnes par an sur ce site au point de vue exceptionnel – dont la majorité descendent les marches vers la grotte, ouverte l’hiver et l’été. Un projet de télécabine est à l’étude pour permettre aux visiteurs de remonter plus en amont sur le glacier, à un endroit où la glace devrait encore tenir une trentaine d’années. « Les gens veulent vraiment voir de la glace même si certains sont déçus ou affolés par rapport à ce qu’ils connaissaient il y a 30 ans », explique Mathieu Dechavanne, PDG de la compagnie du Mont-Blanc. La grotte de glace sera elle aussi délocalisée. Et un grand centre d’étude du climat et des glaciers de 400 m2 devrait voir le jour près de la gare du Montenvers à l’horizon 2018-2019. AFP