Nour Braïdy| L’Orient Le Jour Avec la crise, le chef de la municipalité de Roumieh a mis en place tout un système de tri. Résultat : plus de bennes ni d’ordures dans les rues de la bourgade. Dans les ruelles de Roumieh, entre les maisons de pierre à la toiture rouge, pas de tas d’ordures. Pas de bennes à ordures non plus. Situation pour le moins insolite, alors que de nombreux villages et villes du Liban sont jonchés d’ordures depuis la fermeture du dépotoir de Naamé, le 17 juillet dernier, qui a plongé le Liban dans une énième crise des déchets. Si les rues de cette localité de 3 000 habitants au nord de Beyrouth sont propres, c’est que la municipalité a décidé de prendre les choses en main, en imposant à ses administrés de trier leurs déchets. Cette mesure a été mise en place dès le début de la crise par le président du conseil municipal de Roumieh, Louis Abi Habib, qui a fait notamment appel à l’expertise en matière de tri et de recyclage de l’association Terre-Liban. Pour mener à bien son projet, il a commencé par faire retirer des rues les bennes vertes à ordures de Sukleen. « Cela faisait déjà longtemps que ces bennes me dérangeaient, les ordures qui en débordaient attiraient les chiens et les chats errants, sans parler des mauvaises odeurs… » explique M. Abi Habib à L’Orient-Le Jour. Une grande poubelle et un sac jaune Ensuite, la municipalité a mis en vente, à 3 500 LL au supermarché du village, des grandes poubelles que les habitants ont placées dans la cour de leur immeuble. Sont également vendus de grands sacs-poubelles jaunes à 500 LL l’unité, pour les déchets recyclables. Aujourd’hui, « chacun est responsable de sa poubelle », déclare M. Abi Habib, qui préside la municipalité depuis 17 ans. Pour que le tri entre dans les mœurs et les habitudes, la municipalité a multiplié les initiatives visant à expliquer la démarche et à sensibiliser la population. « Nous nous sommes réunis avec nos équipes de foot féminine et masculine, nous avons demandé l’aide des prêtres qui ont fait des sermons portant sur le respect de la nature et nous avons distribué des circulaires dans toutes les maisons », explique M. Abi Habib avec un bel enthousiasme. « La majorité des habitants ont été réceptifs, en fait il s’agissait seulement de changer leurs habitudes», affirme-t-il, ajoutant que la crise que traverse le Liban a eu un effet catalyseur : « Avec cette crise, les gens ont réalisé que des monceaux d’ordures pouvaient se retrouver juste devant chez eux. » Désormais, chaque mercredi, des employés de la municipalité collectent les sacs jaunes remplis de déchets non organiques recyclables. Quatre fois par semaines, les employés ramassent les poubelles de déchets organiques. Chaque sac est ouvert et contrôlé. Carton rouge « Si une poubelle est mal triée, nous la laissons à ses propriétaires et nous leur demandons de trier à nouveau. Et comme au foot, nous pouvons aussi leur mettre un carton rouge sur lequel sont rappelées les règles du tri », note M. Abi Habib. Quant aux habitants qui refusent de coopérer, leurs déchets resteront devant leur porte. Aux grands maux, les grands remèdes… « Même lorsque tous se mettront à trier, nous continuerons à surveiller », prévient le président de la municipalité, qui envisage de mettre en place un système d’amendes pour les mauvais trieurs. Mais déjà aujourd’hui, le bilan de l’opération est positif, selon lui. « Chaque jour, le nombre de cas de problèmes de tri diminue, et la liste de ceux qui ne trient pas raccourcit », souligne M. Abi Habib. « Le système est très simple, ce qui est recyclable va dans un sac jaune et le reste dans un sac de toute autre couleur, explique Rachid Antar, propriétaire d’une boulangerie. Nous avons mis un peu de temps à nous habituer, mais c’est une bonne chose et tout le monde devrait s’y mettre. » Plusieurs habitants de Roumieh interrogés par L’Orient-Le Jour tiennent le même discours, saluant l’initiative de la municipalité. « C’est très simple et très positif pour l’environnement », affirme une dame au seuil de sa porte. « Il n’y a pas plus facile et tout le monde, progressivement, s’est mis à respecter les directives », renchérit Jihad Achkar, propriétaire d’une supérette. « Je suis satisfait de ma municipalité, mais pas de mon pays », poursuit-il, regrettant néanmoins que ce ne soit pas l’État qui s’occupe de « toute cette histoire de déchets au lieu de faire peser ce lourd fardeau sur les épaules de la municipalité ». Cette initiative a, en effet, un coût pour la municipalité, qui doit employer, pour la gestion du tri, plus d’une douzaine d’employés, pour un total de 450 000 LL (300 USD) par jour. Elle exige aussi beaucoup de temps et d’investissement de la part de M. Abi Habib, mais pour cet ancien ingénieur rentré il y a une vingtaine d’années des États-Unis à Roumieh – sa « grande maison » –, lancer le tri était un devoir, un engagement. Où vont les ordures? Après le ramassage, les déchets organiques sont répandus sur un terrain où ils sèchent pendant deux jours avant d’être recouverts d’une couche de sable. Les déchets non organiques sont retriés sur un autre terrain par des employés de la municipalité et des volontaires de l’association L’Écoute. Cette association, présidée par le père Jean-Marie Chami, se charge ensuite de vendre les déchets recyclables aux usines spécialisées. M. Abi Habib est toutefois conscient que, bientôt, l’association ne pourra pas, à elle seule, gérer les déchets recyclables de la bourgade. « Il faudra alors passer à une nouvelle étape et conclure un accord avec une société de recyclage », explique le chef de la municipalité. Aux défis, nombreux, M. Abi Habib oppose sa détermination. « Nous allons continuer, ainsi nous réduirons le volume de déchets gérés par le gouvernement qui a déjà beaucoup payé à Sukleen. Je ne laisserai plus jamais Sukleen revenir et collecter les déchets », assure-t-il.