Anne-Marie El-HAGE| L’Orient Le Jour Difficile pour les villages de la région d’imaginer rapidement des solutions. Constatant la catastrophe écologique et craignant pour leur santé, les habitants témoignent et montrent du doigt un État qui les a abandonnés. Excédés. C’est bien le mot qui définit aujourd’hui les habitants de quelques localités du Metn, qui expriment leur ras-le-bol face à la crise des ordures. Déjà las de supporter le manque d’eau, d’électricité, d’infrastructures et l’immobilisme d’un État moribond qui vient d’annoncer un nouveau report, ils constatent avec consternation que plus d’un mois après le début de la crise des déchets, les municipalités n’ont pas fait grand-chose, ou si peu. À de rares exceptions près. Mais là encore, les critiques fusent, les solutions envisagées ne font pas que des heureux. Des habitants tentent alors de s’organiser, tant bien que mal, d’abord au sein de leur immeuble, de leur quartier parfois. Le tri ne fait pas encore partie des habitudes libanaises, mais il se met en place. Fanar, Bhersaf, Bickfaya, Mtayleb, Elissar, Antélias… D’un village à l’autre, d’une municipalité à l’autre, le paysage est le même. Sur les routes, à proximité des habitations, c’est par gros tas et sur des centaines de mètres parfois que les poubelles s’entassent. Les immondices s’invitent sur la chaussée, sous les roues des voitures, sous les pas des passants. La puanteur est insoutenable. L’asphalte repoussante de saleté. À croire que le ramassage ne s’est pas fait depuis un bon mois. Face à cette image, d’autres localités comme Broummana et Beit Méry affichent une insolente propreté. Mtayleb, localité sans municipalité « Il ne manquait plus que ça ! C’est du jamais-vu ! » lance, excédée, l’habitante d’un quartier résidentiel de Mtayleb qui requiert l’anonymat. « Non seulement nous subissons le manque d’eau, d’électricité, de routes et l’absence d’un président, mais nous devons désormais faire face à la crise des déchets. » Un mois déjà que personne n’a ramassé les poubelles qui s’amoncellent dans le cul-de-sac où elle habite. « Le problème est que nous n’avons pas de municipalité, donc aucun recours. Nous devons nous calfeutrer chez nous pour éviter de respirer ces odeurs pestilentielles, et le quartier est infesté de moustiques et de mouches », déplore-t-elle. Des rongeurs ont même été aperçus dans un immeuble voisin. De guerre lasse, après avoir essuyé maints refus de municipalités voisines, les habitants de ce quartier ont fini par faire appel à un particulier. « Il a réclamé 900 dollars pour enlever les poubelles du bloc d’immeubles. Quel autre choix avons-nous ? » demande cette mère de famille qui s’active, avec les femmes de son quartier à mettre en place un processus de tri des déchets. « Au moins, ça réduira le volume », note-t-elle avec humour. Quelques ruelles plus loin, Beit Chaar souffre également de l’absence d’une municipalité à Mtayleb. Les poubelles s’entassent sur certaines routes. « La municipalité fait pourtant son devoir et ramasse les ordures du village », assure une habitante qui tient à garder l’anonymat. « Mais les routes rattachées à Mtayleb ne sont pas nettoyées. Alors, nous devons subir des tonnes de poubelles que personne ne veut enlever », déplore-t-elle. Faisant part de sa grande lassitude, « bien plus que pendant la guerre », cette mère de famille raconte l’odeur de brûlé qui lui prend la gorge, nuit et jour, à « en pleurer ». Car des individus brûlent les poubelles. « Ça dure depuis un mois. Ça peut encore durer des mois. Et nous n’avons aucun interlocuteur. » Elle montre du doigt la classe politique qui reporte et reporte encore. « Une bande de mafieux ! » lance-t-elle. « C’est pourtant le dossier le plus urgent », martèle-t-elle. Si la région de Mtayleb semble tellement touchée par la crise des déchets, c’est parce qu’elle est désormais livrée à elle-même, délaissée par les autorités. « Avant la crise, nous n’avions aucun problème, car la municipalité de Kornet Chahwane prenait en charge nos déchets avec l’aide de Sukleen », explique Ziad Salamoun, habitant de cette région résidentielle. « Mais aujourd’hui, les voisins et copropriétaires tentent ensemble de trouver des solutions. C’est littéralement le chaos. » Odeurs de brûlé Même ras-le-bol des habitants d’Elissar ou de Ain Saadé qui sont, comme tant d’autres localités, à la merci des caprices des services de ramassage mis en place par les municipalités. « Pendant un bon mois, nous avons vécu une tragédie. C’était dégoutant. Les odeurs de brûlé nous envahissaient le soir et au petit matin », raconte Joëlle Jammal, habitante d’Elissar. Cette artiste environnementale avoue avoir harcelé la municipalité pour la pousser à organiser une opération de tri des déchets. « J’ai finalement appris que les poubelles de notre région étaient jetées telles qu’elles dans une décharge à Zikrit, à proximité de l’église Saint-Maron. C’est inadmissible ! » lance-t-elle, reconnaissant toutefois que les municipalités n’ont pas été préparées à gérer les déchets ménagers. Craignant la pollution que risque de provoquer cette crise, c’est avec mépris qu’elle s’adresse à la classe dirigeante. « Je ne m’attends à rien d’un gouvernement paralysé. Seules les initiatives privées aboutiront », assure celle qui a commencé à organiser le tri des déchets dans son immeuble, avec l’aide d’une ONG. De son côté, Sami, un habitant de Ain Saadé, constate que les poubelles viennent tout juste d’être ramassées devant son domicile. « Cela faisait 10 jours qu’elles s’entassaient. C’était insoutenable », note-t-il. Ramassées pour être jetées où ? « Probablement vers une décharge de la région, répond-il, car aucune opération de tri n’a été organisée. » Aucune opération de tri non plus à Broummana, Beit Méry ou Monteverde dont les rues sont d’une éclatante propreté, mais qui continuent de déverser la totalité de leurs poubelles dans des décharges à Kortada, sur la route de Ras el-Metn, ou ailleurs. Seules quelques initiatives privées se mettent en place, organisées par des habitants avec l’aide d’associations. « Que sont devenues les bennes à recyclage de Sukleen ? demande Rima, une habitante de Monteverde. Je continue à trier mes ordures, mais je ne sais plus si ça sert à quelque chose, car tous les sacs sont ramassés par les mêmes camions. » Face à ce chaos, certaines municipalités ont pris les devants et invitent les habitants à trier leurs déchets, comme celle de Kornet Chehwane, qui regroupe plusieurs localités, parmi lesquelles Bayada, Ain Aar, Beit el-Kikko… « Cette initiative est positive, malgré certains couacs liés aux heures de ramassage et à l’indiscipline des gens, affirme Christiane, habitante de Bayada. Après avoir organisé des réunions d’information, la municipalité a enlevé les bennes à ordures, interdit de jeter les déchets dans les rues et ramasse désormais les poubelles à domicile. En contrepartie, elle demande aux habitants de trier leurs poubelles de manière sommaire ». Résultat, les routes sont dégagées et propres et le ramassage se fait. Cette habitante reconnaît toutefois que les habitants de régions limitrophes du village se plaignent. « Ils sont indisposés par les odeurs nauséabondes qui se dégagent de la décharge choisie par la municipalité de Kornet Chehwane. » D’autres municipalités qui viennent tout juste d’entamer le processus de tri, comme celle de Naccache-Antélias ou de Dahr es-Souan, n’ont toujours pas gagné la sympathie des contribuables. « Aujourd’hui, ça va mieux. Mais durant un mois, c’était abominable. Les poubelles formaient un monticule devant notre maison. Nous n’avons pas mis le nez dehors », déplore Nada, habitante de Naccache qui avoue avoir empêché ses enfants de jouer au jardin, de peur qu’ils ne soient infectés par les mouches et les moustiques. « Les choses se sont-elles vraiment améliorées ou les déchets s’entasseront-ils de nouveau ? » se demande-t-elle, incrédule. Même incrédulité de Patricia, habitante d’Antélias, qui ne voit toujours aucune amélioration à l’horizon. « Nous avons affaire à une municipalité nulle et incompétente. Des routes entières sont bloquées par les ordures, déplore-t-elle. La puanteur et l’odeur de brûlé sont telles, qu’elles nous empêchent de dormir, la nuit. Quant au recyclage dont ils parlent, nous n’avons pas été mis au courant. » Amère, une habitante de Dahr es-Souwan constate. « La municipalité nous a demandé de trier nos déchets. Mais nous avons appris que toutes les poubelles ramassées il y a deux ou trois semaines ont été brûlées. Se moque-t-on de nous ? »

Publisher: Lebanese Company for Information & Studies
Editeur : Société Libanaise d'Information et d’Etudes
Rédacteur en chef : Hassan Moukalled


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