Cinq heures du matin, au large de la Costa blanca et de ses touristes endormis. Trois chalutiers artisanaux sortent du port espagnol de Villajoyosa pour s’en aller pêcher la seiche, la gamba et la bouteille en plastique. Depuis quelques mois, les pêcheurs de la communauté valencienne (est de l’Espagne) collectent systématiquement les déchets en polyester saturé (PET) gisant en Méditerranée, bientôt recyclés en une collection de mode exclusive. «En juin, à Florence (Italie), nous voulons présenter la première collection de mode réalisée avec du fil et des tissus issus des déchets du fond de la Méditerranée», annonce l’Espagnol Javier Goyeneche, 45 ans, président d’Ecoalf. Cette entreprise madrilène lancée en 2010 (18 employés, 4,5 millions d’euros de chiffre d’affaires 2015) se flatte déjà d’avoir créé «une nouvelle génération» de vêtements et d’accessoires à partir de bouteilles en plastique collectées sur terre, de vieux filets de pêche ou de pneus usagés. «Il ne faut pas continuer à creuser le sol toujours plus profond pour produire du pétrole», lance son fondateur. «Là où d’autres voient des ordures, nous voyons une matière première et pouvons la transformer en tissus à travers des processus sophistiqués de recherche et développement», explique M. Goyeneche, dont les doudounes ou sacs à dos sont vendus dans des magasins huppés, tels Harrods à Londres et Bloomingdale’s à New York. S’il existe donc déjà des vêtements fabriqués à partir de déchets plastiques recyclés, ce serait une première d’en créer à partir des ordures de la mer. Et pour ce faire, 200 bateaux de pêche de la Communauté valencienne (est) ont accepté de jouer les éboueurs. Du haut du pont d’un chalutier, les eaux apparaissent aussi calmes qu’immaculées. «Mais en deux mois, les pêcheurs d’Alicante, de Valence et de Castellon ont déjà sorti de l’eau deux tonnes de plastique et deux autres d’ordures», assure le président de l’Interfédération des pêcheurs de la Communauté valencienne, José Ignacio LLorca Ramis. «Pour les écologistes, nous sommes des prédateurs mais il y a au moins une chose que l’on fait bien: ramasser les poubelles», ironise ce «fils, petit-fils et arrière petit-fils de marins», alors que les chalutiers – surtout industriels – sont accusés de «surpêcher» et de racler les fonds. Jetant son chalut à 60 km des côtes, le patron-pêcheur José Vicente Mayor a ainsi pris l’habitude d’emplir son conteneur à ordures «Ecoalf». «J’ai commencé à travailler comme pêcheur il y a 19 ans». Les marins disaient: ça, ça n’est pas à moi, je le rejette à l’eau. Aujourd’hui, on ne jette même pas un papier !«, assure-t-il. Sur le pont du chalutier, ses trois marins trient soigneusement les gambas et les crabes remontés dans l’après-midi du fond obscur et boueux. Mais cette fois la récolte de plastiques est maigre: quelques centaines de grammes, constate l’AFP. »C’est parce qu’on a déjà beaucoup nettoyé par ici«, dit le patron. En 2010, quelque 8 millions de tonnes de déchets en plastique ont été déversées dans les océans, selon une étude internationale publiée en février dans la revue Science. Pour 2015, la prévision est de 9 millions de tonnes. Après les cinq océans, »la Méditerranée est la sixième grande région d’accumulation de déchets plastiques de la planète«, ont averti en avril des scientifiques de l’Université de Cadix (Andalousie, sud). Dans cette mer quasi fermée, des déchets plastiques ont été retrouvés dans l’estomac des petits poissons, d’oiseaux marins, de cachalots… »Les tortues marines, notamment, peuvent mourir d’une occlusion intestinale quand elles ingèrent les sacs plastiques qu’elles confondent avec les méduses«, explique à l’AFP le vétérinaire Xema Gil, du Centre de préservation de la faune de la Communauté valencienne». «La bouteille en plastique est un problème social car, en Espagne, 4 millions de bouteilles sont jetées chaque jour», assure Gabriel Buldu, directeur commercial de PET compania (filiale de l’Italien Dentis), une des grandes entreprises de recyclage du pays. C’est dans son usine de Chiva, près de Valence (est), que seront transformées en décembre les premières tonnes de déchets collectés par les pêcheurs. Visiter cette usine est une leçon d’écologie en soi: le processus de recyclage est si complexe qu’aucun visiteur ne jettera plus un emballage plastique avec la même légèreté qu’auparavant… Secouées, aplaties, échaudées, les bouteilles sont triées – automatiquement par des machines ou par une ouvrière debout face au tapis roulant – puis triturées dans des mixeurs géants pour finir en minuscules flocons. En janvier, ces déchets issus de la mer seront transformés en fil par la société espagnole Antex, à Girona (Catalogne, nord-est). Puis Ecoalf pourra créer sa collection – de maillots de bain, vestes, sacs, chaussons… – «d’abord avec 35% de déchets plastiques d’origine marine et 65% d’origine terrestre», précise M. Goyeneche. A terme, il voudrait «obtenir un fil recyclé à 100% à partir de détritus collectés en mer». Une façon de «faire prendre conscience aux gens de ce qui se passe au fond de la Méditerranée». AFP